« C’est l’unité de signification à coder. Elle correspond au segment de contenu à considérer comme unité de base en vue de la catégorisation (...) L’unité d’enregistrement peut être de nature et de taille très variables », prévient Laurence Bardin. 419 Dès le début de l’entreprise de transcription, nous devons définir l’unité adoptée répondant au double critère de pertinence : vis-à-vis des caractéristiques du matériel et des visées de l’analyse. Les chercheurs en sciences humaines privilégient différentes unités :
Nous choisissons une autre unité, moins fréquemment retenue par les méthodologies d’analyse de contenu 420 : selon nous, ce format de présentation et d’étude est le plus adapté à notre recherche. En effet, le modèle de la compétence professionnelle à l’accord interprofessionnel que nous avons précédemment stabilisé reposant sur la capacité des enseignants à mobiliser des éléments cognitifs organisés en mondes de référence, il nous semble particulièrement opportun de repérer le plus précisément possible les objets caractéristiques de ces mondes. La connaissance préalable que nous avons acquise de ces mondes, et de leurs configurations spécifiques à la population que nous étudions, nous autorise une catégorisation fine des objets, qualités, relations, etc., évoqués. C’est pourquoi nous avons choisi de découper les entretiens en unités d’enregistrement très restreintes, les propositions, agrégeant peu de mots, et référant, le cas échéant, à un seul monde. Ainsi, chaque interview est présentée en plusieurs centaines d’unités, toutes numérotées, comme le montre l’exemple suivant :
n° | Proposition |
552 | je n'avais pas beaucoup à insister pour que |
553 | elle se mette à pleurer |
554 | c'était vraiment une grande tristesse, |
555 | c'était une grande souffrance et pour elle et pour moi |
556 | Et … il ne faut pas insister |
557 | parce que c'est vraiment le mauvais chemin |
558 | et à ce moment-là, je préfère en parler avec Marcel, |
559 | et qu'on prenne une heure ensemble à en parler |
560 | et puis ça permet de prendre du recul par rapport à une situation pour dire: |
561 | "je n'ai pas le droit non plus d'insister autant" |
562 | même si ma responsabilité elle est que |
563 | au bout de quatre ans ensemble, elle sache mieux lire, écrire |
Le plus possible, chaque proposition est constituée autour d’une forme verbale, permettant d’isoler une action ou un état, un ou plusieurs actants (le locuteur, des personnages...), des objets et des circonstances. Toutefois, Rodolphe Ghiglione signale 421 , dans le découpage du texte, des difficultés que nous rencontrons:
348 | Au début d'année, un jeune qui était là, difficile; |
349 | il arrivait, |
350 | c'est la première année qu'il est là, |
351 | il vient d'un établissement, |
352 | coups de pieds, insultes, bagarres, un truc pénible… |
353 | et alors en classe insupportable, insupportable. |
Les deux dernières lignes ne comportent ni verbe ni sujet. Pourtant, nous les isolons comme des propositions. En effet, nous rapportant à la structure des mondes de référence, nous repérons dans ces fragments des éléments particulièrement intéressants : objets, qualités... C’est donc dans la perspective des codifications ultérieures que nous procédons à un tel découpage : il s’agit, en quelque sorte, d’un pré-codage, dicté par l’intuition de l’intérêt sémantique particulier de ces extraits.
77. | par exemple dans la famille, la punition, c'est "le départ du samedi est retardé dans l'après-midi avec le travail à rattraper, travail supplémentaire à faire" |
78. | ça ne portait pas, ça n'apportait rien. Et que faire? |
79. | Parce qu'il y avait aussi des gestes d'agression, enfin d'agressivité envers les autres, |
80. | ce n'était pas des bagarres, |
81. | c'était "Je passe, paf, je fous une claque" |
82. | "Je passe, paf, je tire un coup de pied" |
83. | "Un camarade est à côté de moi, toc, un petit coup de crayon." |
84. | Enfin bon, c'était sans arrêt comme ça, |
85. | et finalement les rencontres avec le chef de service, les discussions en commun avec cet élève, les rencontres même plus hiérarchiques je dirais avec le directeur, ne semblaient pas le toucher |
La plupart des propositions comportent plusieurs formes verbales (quatre en 77, trois en 81). Nous jugeons dans ce cas que les locutions rapportées entre guillemets constituent des objets de chaque proposition et ne nécessitent pas d’en être disjointes. C’est une interprétation que l’écoute des bandes permet de justifier : chaque comportement de l’élève est décrit dans un débit accéléré et d’un ton monocorde. La longueur de la dernière proposition est due à d’autres facteurs : l’énumération des types d’événements, l’incise phatique « je dirais », génèrent un effet d’accumulation et de redondance qu’il ne convient pas de briser.
Ce découpage en propositions permet de traiter de la même façon les discours du chercheur et de l’informateur. Ainsi, afin d’apprécier d’éventuelles évolutions des modes de conduite, on peut comparer les entretiens (sans rompre avec la perspective qualitative), en comptabilisant les propositions émises par chaque interlocuteur.
Entretien : Numéro + pseudonyme |
nombre total de propositions | nombre de propositions- réponses | pourcentage de propositions- réponses |
Eglantine | 732 | 686 | 94 |
Gaspard | 835 | 813 | 97 |
Jean | 589 | 567 | 96 |
Nadine | 376 | 346 | 92 |
Mylène | 451 | 404 | 90 |
Gautier | 474 | 440 | 93 |
Christiane | 381 | 353 | 93 |
Aubin | 484 | 437 | 90 |
Xavier | 308 | 275 | 89 |
Danielle | 369 | 324 | 88 |
Yvonne | 460 | 437 | 95 |
Carla | 496 | 468 | 94 |
Laszlo | 450 | 376 | 84 |
Ahmed | 220 | 200 | 91 |
Pervenche | 398 | 329 | 83 |
Octave | 560 | 465 | 83 |
Bérénice | 284 | 205 | 72 |
Ernest | 511 | 437 | 86 |
Elie | 261 | 231 | 89 |
Sans nier les différences de personnalité des interviewés (Gaspard est d’un naturel plus bavard qu’Ahmed), on note l’homogénéité de cette série de pourcentages. 422 Cependant, cette quantification permet de nourrir notre réflexion qualitative de deux remarques :
BARDIN (Laurence), L’analyse de contenu, Paris, PUF, 1986 (4ème éd.), p. 103
Une méthode privilégie l’unité d’enregistrement que nous avons retenue: l’analyse propositionnelle du discours, décrite dans : GHIGLIONE (Rodolphe), MATALON (Benjamin), BACRI (Nicole) Les dires analysés, St Denis, PUV-CNRS, 1985. Nous ne nous référons aucunement à cette méthodologie, que ses auteurs présentent comme un juste compromis entre les approches textuelle et les approches discursive de l’analyse des entretiens. Pour notre part, nous souhaitons privilégier dans l’étude le contenu explicite de notre corpus.
GHIGLIONE (Rodolphe), MATALON (Benjamin), BACRI (Nicole) , op. cit, pp. 26-29
Moyenne : 89.4 ; écart-type : 5.37