1.1.1. Entre deux portes

Salle de classe, atelier, couloirs, récréation : l’expérience professionnelle se vit dans des lieux et répond aussi à des contraintes architecturales. On peut dresser une topologie des espaces scolaires, qui permet de contextualiser les propos des enseignants.

  • Dans la classe
571 RC     quand la porte d'une classe est fermée,
572       il faut faire et c'est fini,
573 PR     on a un rapport avec les enfants,
574 RC     on a un temps à passer ensemble,
575 RC     il faut que ce temps se passe le mieux possible, et pour les uns, et pour les autres et pour soi aussi

Pour Jean (3), comme pour tous les enseignants interrogés, la salle de classe ou l’atelier représente l’espace premier des épreuves, et la scène souvent privilégiée de leur résolution. Le contrat, qui semble les lier à l’établissement, les attache à leur lieu et à leur groupe, comme le laisse entendre Nadine (4), en un bref énoncé montrant cette qualité d’interface du groupe-classe, défini à la fois comme objet de l’enseignant (« mon groupe ») et objet de l’établissement («un groupe de maturation ») :

31 RC     mon groupe, c’est un groupe qui répond à une certaine attente de l’établissement, un groupe de maturation

Tous, ou presque, considèrent que leur compétence doit, en premier lieu, s’exercer entre leurs quatre murs et qu’ils ne peuvent faire appel à d’autres ressources institutionnelles que dans un second temps : d’abord, « il faut faire ». D’une façon ou d’une autre, le recours au conseil, à l’intervention ou à la collaboration avec une autre personne de l’établissement, elle aussi chargée le plus souvent de sa classe, de son groupe, de ses rendez-vous... est vécu comme la reconnaissance d’une impossibilité à mener à bien sa tâche. C’est même, pour certains, le symptôme d’une incapacité, pour d’autres, le signe d’un échec. Ainsi, Gautier (6) témoigne de cette représentation partagée par tous, élèves et adultes :

40       donc tout de suite, elle me disait:
41       "Oui, je sais bien, vous allez appeler l'éducatrice
42 NS     parce que vous n'êtes pas capable,
43 NS     et puis moi, avec elle, je vais faire du travail manuel,
44 NS     et puis je n'apprendrai pas en classe"
45       Elle sentait bien, elle savait comment ça se passait dans l'école.
46   1   Alors je lui disais: "Non, on peut faire autrement…"

Ce sentiment que le recours à l’interprofessionnel signe l’échec du pédagogique ne favorise pas l’ouverture des classes et des ateliers, parfois considérés comme des lieux marqués par la contrainte des esprits qu’on souhaite attentifs, des corps qu’on veut assis. Yvonne (11) emploie à ce propos des mots très durs :

274. NS 2   c'est un peu moins concentrationnaire qu'une classe…
275.   2   Donc dans une classe, tout est à cru:
276. NS 2   la porte est fermée,
277. NS 2   c'était les mois d'hiver, porte fermée, fenêtres fermées, on est là

Quand la porte est fermée, la classe devient une boîte aveugle, disent Jean et Yvonne. Cette image permet de décrire dans un premier temps les modalités de recours extérieurs comme des processus d’emboîtements successifs. Ouvrir une porte, ce n’est que changer de boîte, à moins que l’on n’imagine des protocoles de passage, des dispositifs de liminalité, qui articulent les espaces-gigognes (classe, école, établissement) en permettant leur évolution.

  • La récréation

Il y a un moment rituel où les portes des classes et des ateliers s’ouvrent : la récréation.

265.   2   Parfois de façon assez sporadique, toujours à la récréation,
266.   2   c'est toujours un moment où chacun sort de sa classe ou de son atelier,
267.   2   il est encore un petit peu sous le coup de certains événements,
268.   2   alors il y a ceux qui ne veulent plus en parler
269.   2   ou ceux qui en profitent.

Ainsi, pour Yvonne (11) paradoxalement, l’école semble plus exister comme contenant commun lorsque les enseignements sont suspendus : tous se parlent, peu ou prou, appréciant la commune appartenance scolaire et les différences de fonction ou de tâche. Mylène profite de la récréation pour se rendre chez le directeur de l’école (5 / 70-75), quand Christiane (7 / 94-101) préfère échanger avec sa collègue de mathématiques.

La récréation est aussi le lieu et le moment de reprendre avec les élèves eux-mêmes les difficultés rencontrées en classe. Nadine (4) oppose même ces deux espaces:

93 NS 1   là, c'est le lieu où on travaille,
94 PR 1   ce n'est pas le lieu où on écoute;
95 PR 1   donc j'essayais de jouer là-dessus,
97 NS 1   "Ecoute on se parlera plutôt à la récré que pendant une leçon"
  • L’inter-classe

Dans certains établissements, une organisation particulière permet un autre jeu d’ouverture de portes, entre deux lieux d’enseignement. Ainsi, dans certains IMPro, la disposition des locaux permet aux élèves, durant les heures de classe, de visiter ponctuellement l’atelier, ou vice-versa. Gautier (6) apprécie particulièrement cette ouverture :

412     3 c'est vrai que ce que moi j'aime,
413   2 3 c'est la liaison entre les classes et les ateliers:
414 NS 2 3 un problème de maths qu'il n'arrive pas à résoudre,
415 NS 2 3 on le résout ensemble,
416   2 3 l'atelier vient dans la classe pendant un quart d'heure,
417   2 3 donc cette facilité d'accès, moi je sais que c'est ce qui me plaît dans un établissement comme ça

Dans d’autres établissements, comme celui où exerce Jean (3) , l’organisation en cycles d’études (souvent proches des cycles de l’école primaire « ordinaire ») favorise ces contacts :

467 NS 2 4 on s'appelle dans les classes pour venir voir une réussite pour un enfant,
468 NS 2 4 quand il est capable de faire quelque chose,
469 RC 2 4 quand il se passe un truc un peu particulier, un moment particulier de classe,
470   2 4 on va communiquer l'un avec l'autre,
471   2 4 on va aller voir l'autre,
472   2 4 on a deux portes qui communiquent, c'est facile pour nous de le faire
  • Le couloir

Entre les classes et la cour, un autre lieu est fréquemment évoqué par les professeurs et les éducateurs, mais comme à demi-mot, sans que son nom ne soit quasiment prononcé : le couloir. C’est un interstice, un corridor, un sas entre deux contenants normalement clos, par exemple la classe et un bureau, ou un atelier et la cour de récréation. Par un jeu de portes, comme un mouvement d’écluse, la difficulté (c’est-à-dire le plus souvent l’élève) est évacuée du lieu d’enseignement et introduite dans un autre lieu, susceptible de la traiter : le bureau du directeur, le local d’un éducateur, l’infirmerie... Le couloir est parfois le siège du téléphone, dont l’enseignant s’empare pour appeler de l’aide. Le temps que la personne sollicitée intervienne, l’élève difficile est « entreposé » dans le couloir, l’enseignant partageant ainsi son attention entre l’extérieur et l’intérieur proprement dit de sa classe. Ce vestibule est alors le lieu d’échange de paroles, entre l’adulte et l’enfant, d’abord, puis entre les adultes. A plusieurs reprises, Eglantine (1) expose ce moment de négociation, précédant dans ce cas, l’entrée de l’élève dans sa classe :

50       quand elle arrive elle
53       elle ne parle pas, elle crie
54 PR     et elle exprime plein de choses
55 PR     au niveau de son vécu familial
57 RC     donc le lieu de la classe,
59       c'est pas forcément le meilleur lieu pour dire tout ça
60 PR     donc, je lui dis que j'entends bien qu'il y a un problème
62       mais qu'il faut qu'elle aille en parler ailleurs
63   3 2 en général, ou je prends le téléphone
64   3 2 et j'appelle quelqu'un donc qui prend le relais
65   3 2 on se met d'accord sur le temps