1.1.2. Méthodes et techniques

« Il faut a-dap-ter », prescrit Christian Cousin 428 . En effet, quelle que soit la difficulté à laquelle ils se trouvent confrontés, les enseignants rencontrés tentent en premier lieu d’adapter leurs techniques et leurs méthodes, leur mode de relation aux élèves ou l’organisation de la classe. Parfois, frénétiquement, tant l’angoisse de manquer d’outil semble menaçante. Au sujet de l’apprentissage de la lecture, Christiane (7) avoue :

81   1   et je suis à court d'idées
82 NS 1   et c'est diabolique d'être à court d'idées en pédagogie!
83 NS 1   non mais c'est vrai: les méthodes, d'abord les sorcières, ça m'ennuie,
84   1   parce que j'ai horreur de ça,
85 NS 1   la méthode naturelle, ils ont un vécu tellement pauvre,
86   1   il n'y a rien qui sort…

Son diagnostic est sévère :

21 NS 1   mais c'est nul,
22 NS 1   ma pédagogie, enfin moi, je la trouve particulièrement nulle
23 NS 1   parce que je n'arrive pas à m'adapter, c'est ça

Elle s’épuise à imaginer des solutions :

47 NS 1   J'essaie de la motiver avec son expérience:
48   1   on fait du théâtre,
49   1   alors elle me dessine ce qu'elle fait au théâtre,
50   1   elle écrit et puis elle lit…
51   1   mais ça dure une séance,
52   1   après il faut changer
53 NS 1   et je n'ai pas de support qui la motive,
54 NS 1   et là, c'est l'échec total

Le plus souvent les enseignants cherchent à motiver leurs élèves en multipliant les sources d’intérêt, organisant des sorties, des manifestations. Ainsi, Jean (3/ 65-86) explique, avec force détails, comment il décline, pour un enfant particulièrement peu motivé, à la fois les propositions d’activités stimulantes et des formes d’exercice variées. Mais toute son ingéniosité pédagogique ne parvient pas à faire participer son élève.

Pour la plupart des enseignants, l’adaptation consiste en une quête de petits « trucs » pour contourner une difficulté. Ainsi, face à son élève qui n’arrive pas à écrire droit, Gaspard (2) invente un tour de passe-passe :

666 NS 1   Je prends son cahier,
667 NS 1   je me rends à la page d'avant,
672   1   elle écrivait en miroir, en inversé, de droite à gauche.
677   1   Alors je lui dis:
678 NS 1   "Ecoute, on va plier le cahier,
679   1   comme ça il n'y aura plus ni de gauche, ni de droite"
680   1   "Ah!, elle dit, oui c'est bien, j'y arrive"

D’adaptation en invention, d’essais en erreurs, certains, comme l’éducateur technique Laszlo (13), en arrivent à construire un outil nouveau, vraisemblablement d’autant plus prometteur qu’il n’est encore que partiellement mis en œuvre :

285 NS 8   Dans l'atelier, de quatorze à dix-sept ans, les jeunes ne sont pas confrontés à ce genre de travail, mais uniquement à des exercices d'apprentissage,
286 NS 8   des exercices qu'on a créés, qui n'existent pas,
287 NS 8   on a créé ça, en disant: "Tiens, ça, ça serait bien; ça ça serait pas mal"

Ces extraits, comme le reste des entretiens, corroborent ce que remarque Marie-Agnès Simon 429 au sujet de la pédagogie des enseignants en IMPro. Les activités sont centrées sur les apprentissages fondamentaux, et le vocabulaire employé pour en parler ne renvoie à aucun discours d’expertise pédagogique. En effet, les professeurs que nous avons interrogés, comme les éducateurs, ne citent aucun auteur (excepté Philippe Perrenoud, évoqué par Ernest au sujet de sa formation CAEI) et ne se réfèrent explicitement à aucune théorie, école ou mouvement susceptibles d’inspirer leur constant travail d’élaboration de nouvelles manières de faire. L’adaptation pédagogique se réalise plus au coup par coup. Il ne s’agit pas de construire, même progressivement, un modèle global et cohérent, mais seulement de répondre à ce que l’enseignant croit déceler d’une demande de l’élève, à un moment donné. A ce propos, Jean (3) explique comment une technique pédagogique, en l’occurrence la méthode de lecture Borel-Maisonny, peut être mobilisée, non pour son efficacité a priori, mais pour la valorisation des compétences de l’élève qu’elle permet :

104 NS 1   Quand j'ai su
105 NS 1   qu'elle savait plus de choses
106 RC 1   que ce qu'elle en montrait au niveau de la classe,
107 PR 1   je lui ai montré par exemple,
108 NS 1   que dans mon bureau j'avais la méthode gestuelle,
109 NS 1   que je savais aussi faire certains gestes
110 PR 1   et qu'on pouvait communiquer comme ça;
111   1   et je lui ai demandé systématiquement,
112 NS 1   quand elle avait quelque chose à lire au tableau
113 NS 1   de passer par cette méthode pour se rassurer
114 NS 1   pour essayer de montrer qu'elle pouvait lire
Notes
428.

COUSIN (Christian), op. cit., p. 117

429.

SIMON (Marie-Agnès), Enseigner aux élèves à la pensée troublée, op. cit.