2.1. La difficulté initiale

2.1.1. Les énoncés-problèmes

Les enseignants se saisissent de la feuille que nous leur tendons, parcourent du regard les situations proposées. Le magnétophone se met en marche, quand ils signifient leur choix. Une première relance les invite à décrire l’expérience vécue qu’ils associent à l’exemple présenté. En quelques phrases, chacun essaye de rassembler ses souvenirs pour dresser un tableau crédible du problème auquel il a été confronté. Les réminiscences peu à peu se précisent. Alors, malgré les différences de projet ou de registre, chacun propose une formulation simple et resserrée de sa difficulté, en articulant seulement trois ou quatre propositions. Nous nommons ces courts fragments des énoncés-problèmes. Dans chaque début d’entretien, il est possible d’isoler, parmi les toutes premières dizaines de propositions, un ou plusieurs énoncés-problèmes. Nous nous intéressons particulièrement aux versions qui articulent objets, sujets, qualités ou relations de plusieurs mondes de référence en un minimum d’espace. Nous avons ainsi pu, pour chaque enseignant (à l’exception d’Ahmed, Gautier et Christiane), extraire des premières minutes de l’enregistrement, un tel énoncé combinant des éléments des trois mondes.

Tableau n°4-10 Présentation des Enoncés-Problèmes
Pseudonyme
N° des propos.
Proposition
« Normalisation Scolaire »
Proposition
« Praxis et Relation »
Proposition
« Rupture Communautaire »
Eglantine
39-42
Au niveau du travail scolaire, c’est pas évident cet enfant, il faut le prendre en individuel il faut quelquefois l’exclure de la classe
Gaspard
59-63
qu’elle garde sa concentration cinq minutes que la classe soit un endroit souriant, avec peu de larmes qu’elle soit avec nous dans des activités orales
Jean
34-36
elle est compétente dans certains domaines mais je peux facilement arriver à l’oublier dans le cadre du groupe ou de la classe
Nadine
31-33
c’est des jeunes qui passent du cycle 1 au cycle 2 mais qui sont encore renfermés un groupe de maturation, une attente de l’établissement
Mylène
18-20
il s’agit de faire avancer le travail avec ces élèves sans me sentir découragée, me sentir responsable et puis essayer d’en alerter quand même l’équipe
Gautier
25-26
elle avait commencé la soustraction mais il lui fallait une relation duelle  
Christiane
73-74
on ne fait passer aucun message pédagogique à un élève qui n’est pas bien dans sa peau  
Aubin
40-43
il n’a même plus d’obligation scolaire il utilise cette provocation pour exister il a un accrochage fort avec l’établissement
Xavier
17-19
dans le travail un gamin qui ne s’investissait pas il perturbait tout le temps les autres
Danielle
20-22
elle était dans un registre d’apprentissage elle n’était plus dans des rapports agressifs elle se sentait beaucoup mieux dans la classe
Yvonne
54-56
On n’arrivait pas à travailler De la gentillesse, il est passé à l’agressivité la classe était complètement déstabilisée
Carla
55-58
ce que je pouvais raconter sur Thalès ou Pythagore... Ce qui est très perturbant pour l’adulte c’est : « Comment la classe fonctionne ? »
Laszlo
94-97
il était très performant, bon niveau l’employeur était content de lui mais l’entourage proche, c’était le bistrot
Ahmed
29-30
il n’avait pas besoin de gabarit et il venait sans cesse me rechercher  
Pervenche
29-32
il sait faire un certain nombre de choses c’est un enfant par ailleurs très attachant mais dans le contexte du groupe, c’est difficile
Octave
54-62
Il avait des compétences c’est un jeune qui avait besoin d’ être investi pas extérieurement dans ce qu’on voulait qu’il soit
Bérénice
18-21
On a beaucoup de mal à l’intéresser à des activités il reste passif et on l’oublie il était très peu sur les photos du groupe
Ernest
18-21
c’est dans le travail de classe, un certain désintérêt dans de la non-commu-nication, dans la relation on peu essayer de la parler, sur le tas
Elie
10-14
il possède des aptitudes, un blocage pour lire sans arrêt, il faut le rassurer et bon, il se trouve marginalisé

Dans la grande majorité des cas, ces énoncés-problèmes décrivent la difficulté provoquée par l’élève au centre de l’entretien. On peut noter quelques exceptions :

  • Gaspard n’expose pas les difficultés rencontrées, mais le projet qu’il formulait pour son élève
  • Danielle évoque la situation antérieure à la difficulté, l’état d’équilibre entre les trois mondes que l’évolution de la jeune fille a rompu
  • L’énoncé extrait de l’entretien de Laszlo ne décrit pas l’élève central du propos de l’éducateur, mais un autre adolescent, dont la difficulté est prise en exemple.
  • L’énoncé-problème d’Octave rassemble des propositions assez distantes les unes des autres. L’entretien témoigne en effet de difficultés de l’enseignant à exprimer ses opinions : au cours de la conversation, nous lui proposons diverses possibilités d’étayage. Mais au tout début de son discours, il use de fréquentes reprises ou ruptures, qui ne servent pas la clarté de ses propos.
  • Enfin, nous notons l’absence de référence au monde de la Rupture Communautaire dans les énoncés-problèmes de Christiane (dont aucune proposition ne réfère à ce monde), de Gautier (qui enseigne dans le même établissement que Christiane) et d’Ahmed (dont on a déjà remarqué la pauvreté du propos).