3.2.5. Yvonne ou la mise en abîme

En certains points, la situation d’Yvonne est comparable à celle de Danielle. Confrontée à un élève particulièrement indiscipliné, elle sollicite l’aide d’un psychiatre sous la forme d’une demande de clarification. Là s’arrêtent les ressemblances. Danielle choisit les moments où elle rencontre le psychologue, souvent disponible, et mène avec lui une analyse pointilleuse des faits. Yvonne rencontre le psychiatre en urgence, sur un court temps de récréation, et doit se contenter d’un diagnostic abrupt :

163.   4 4 "ce garçon n'est pas enseignable,
164 PR 4 4 il ne supporte pas d'être enseigné,
165. PR 4 4 il ne supporte pas l'enseignement
166. PR 4   parce que pour lui, ça correspond à des ordres,
167. PR 4 4 et il n'accepte aucun ordre."
168.   4   Qu'est-ce que je fais avec ça?

Il s’agit en effet d’une clarification : selon le médecin, la difficulté est essentiellement liée à la personnalité déficiente de l’adolescent. Mais ce n’était pas cette clarification qu’attendait l’institutrice :

225. PR 4 4 Ce que j'attendais … Qu'il me rassure…
226.   4 4 Parce que là, j'en étais vraiment arrivée à me dire: "Mais ce n'est pas possible
228 PR 4 4 que je n'arrive pas à avoir un autre contact que celui-ci avec ce garçon…
229.   4 4 Qu'est-ce que je fais?
230.   4 4 Qu'est-ce que je fais de mal?
231.   4 4 Un peu, qu'est-ce que je dois faire?
232.   4 4 Qu'en pensez-vous?
235. NS 4 4 Je demandais un avis, pas des méthodes de travail,
236.   4 4 ça ce n'était pas du tout le but.
237. PR 4 4 Oui, un avis sur ce garçon, parce que je n'avais que mon regard à moi
238. PR 4 4 et mon regard était extrêmement …négatif,
242. PR   4 je me disais: "Mais ce n'est pas possible, est-ce que c'est moi qui le met dans cet état?"
243. PR   4 Donc, je m'interrogeais sur moi, sur le pourquoi et le comment on en était arrivé là, lui et moi,
244.   4 4 et donc j'ai demandé au psychiatre…
245.   4 4 "Aidez-moi", en fait, "aidez-moi, parce que …qu'est-ce que je peux faire?"

Le questionnement est essentiel : demande de réassurance, d’analyse de la relation et recherche d’activités. La réponse est maigre, et se résume à une explication psychologique hâtive, détachée de la situation.

La réflexion institutionnelle semble s’arrêter là. On apprend que les normes de l’établissement ont été respectées:

182.   6 3 Le directeur a pris la décision de se débarrasser de cet individu jugé dangereux pour les autres,
183.   6 3 nous avons fait une réunion de synthèse auparavant,
184.   6 3 puisque la décision est toujours prise après consultation de l'ensemble de l'équipe,

On peut douter dans un tel contexte de l’intérêt d’une consultation interprofessionnelle. Yvonne ne peut que se faire l’écho de la conclusion du psychiatre, rassemblant quelques objets scolaires dans un verdict sans appel. Cette triste clarification est une condamnation.

185. NS 6 4 donc… ce garçon est parti avec un lourd dossier,
186. NS 6 4 puisque moi, j'avais fait un rapport également sur lui,
187.   6 4 disant, reportant, rapportant ce que le psychiatre avait dit:
188. NS 6 4 ce garçon aura du mal à s'intégrer dans un cycle scolaire….

L’institutrice cependant reste consciente de la dramatique absence d’élaboration collective, que masquent mal ces parodies de clarifications. Elle constate avec amertume le parallèle entre l’attitude de son élève qui voulait prendre sa place et effacer ce qu’elle écrivait, et la réponse de l’institution.

434. PR   2 Mais ceci dit, c'est toujours triste
435. NS   2 lorsque l'on a un effectif, de rayer un nom sur une liste d'effectif,
436.     2 le nom est rayé, mais il est toujours là…

Aux paroles en écho, répondent des actes en miroir.