3.3. Voies et voix du compromis

La recherche de compromis est donc un long chemin semé d’embûches. Quatre enseignants en font particulièrement l’expérience, en constatant la difficulté d’inscrire cette forme d’accord dans l’espace interprofessionnel.

3.3.1. Aubin ou la voie étroite

L’entretien avec Aubin a souvent été considéré comme particulièrement pauvre. Cependant, au terme d’un parcours institutionnel complexe et, il est vrai, peu explicité, cet instituteur distingue la possibilité d’un dispositif de compromis :

140 RC 9 5 Si on pouvait avoir un éducateur spécialisé (...) sur le groupe en même temps,
141   9 5 ça prendrait une autre dimension.
142 RCNS 9 5 on pourrait à certains moments le faire changer de groupe, faire un autre type de travail:
143 NSPR 9 5 à certains moments, quand les autres sont en travail individuel ou en travail personnel, à ce moment-là, le reprendre lui

Cette proposition suppose de considérer qu’un seul cadre de pratique permet, « à certains moments », la cohabitation de plusieurs logiques d’action : travail collectif, travail personnel, et « reprise » individualisée. Mais on peut noter que cette articulation repose sur un élément très ambigu : le groupe. Est-il unique (« un éducateur sur le groupe ») ou multiple (« changer de groupe ») ? C’est l’enjeu du compromis, qui nécessite qu’éducateur et enseignant puisse partager un même objet qui ne serait ni le « groupe de vie » de l’internat, ni les groupes d’activités de l’organisation scolaire.

Pour parvenir à cette proposition, Aubin ne s’appuie pas sur sa propre réflexion, mais sur les interrogations du groupe des éducateurs techniques qui cherchent les bases d’un compromis, entre les modèles « purs » de l’apprentissage technique ou de l’accompagnement éducatif :

265     5 les éducateurs techniques sont obligés de se remettre en question comme nous,
267 NS   5 (de se demander) si c'était bien une technique qu'il leur fallait à ces jeunes,
268 RC   5 si ce n'était pas plus un environnement éducatif pur
270     5 disons que ça a déstabilisé des gens qui fonctionnaient depuis des temps…
274 NS   5 Ils essaient quand même d'apporter des techniques,
275 NS   5 parce que c'est leur rôle,
276 NSPR   5 et par la technique, on arrive parfois aussi à récupérer un certain nombre d'élèves qui ne seraient pas forcément attentifs (...)
279 PR   5 mais il y a quand même d'après eux une grosse perte de temps à régler des conflits, à contrôler des jeunes….

De même , sa critique des pratiques des enseignants de collège qu’il fréquente lui permet de repérer les atouts des échanges interprofessionnels:

377   7 5 quand ils disent par exemple
378 NS 7 5 que pour tel élève, ils ne savent pas ce qui se passe en telle matière,
379 PR 7 5 tout d'un coup l'élève s'effondre,
380   7 5 et j'ai l'impression qu'ils ne prennent pas en compte
381 PR 7 5 qu'il a une vie autour qui fait qu'à certains moments il y a des choses qui font que
382 NS 7 5 c'est pas l'école qui est sa priorité,
385     5 nous, ici, on est beaucoup plus axés sur leur vie, en général, de façon globale,
389 RC   5 ce qui fait qu'on peut très bien savoir pourquoi il n'accroche plus en classe:
390 RC   5 c'est parce que il y a un problème à l'extérieur, dans le quartier, dans la bande.

Ainsi, la recherche de compromis est essentiellement une perspective qui commence à se dessiner, mais au terme d’un long parcours durant lequel l’enseignant a du dépasser :

  • les pratiques de dissimulation et de refus d’accord, pour régler « de façon très confidentielle, sans ébruiter ça autour » (440) les difficultés avec des adolescents
  • les recours fréquents à des procédés de relativisation qui assujettissent la réflexion interprofessionnelle à des modifications des orientations politiques nationales (289-294) ou à la suppression des limites budgétaires (150-151)
  • les clarifications utopistes (211-216) ou les projets exclusivement pédagogiques (125-137).

Par ses efforts successifs, l’enseignant peu à peu quitte son isolement et ses certitudes. Il se sent prêt à accepter de partager avec un éducateur son espace de travail, et d’investir avec lui un étrange groupe, simple et double. Mais à ce que dit Aubin de son établissement, cette éventualité semble peu réalisable. N’est-ce pas une nouvelle utopie ?