3.3.3. Jean ou la voie unique

Jean dispose des ressources pour parvenir à un compromis interprofessionnel. Le riche dispositif de concertation institutionnelle lui permet de bénéficier d’espaces de clarification complémentaires. En réunion de suivi de projet, il échange avec ses collègues compétences et bilans scolaires. En réunion clinique, il sait « se mettre à nu » et communiquer son insatisfaction ou sa lassitude. En synthèse enfin, il s’interroge sur les modalités d’accompagnement collectif les plus stimulantes.

Mais il ne trouve de solution à la difficulté particulière qu’il relate dans aucune de ces rencontres. Face à la souffrance de son élève en classe, il ne se tourne pas vers le psychologue ou les éducateurs de la jeune fille, mais préfère en parler avec ses collègues enseignants :

550     5 Je me suis rendu compte avec elle par exemple
551 NS   5 que si je la mettais dans une situation où elle se trouvait en échec,
552     5 je n'avais pas beaucoup à insister pour que
553 PR   5 elle se mette à pleurer
554 PR   5 et c'était rarement des larmes… c'était vraiment une grande tristesse,
555 PR   5 c'était une grande souffrance et pour elle et pour moi
556     5 Et … il ne faut pas insister
557     5 parce que c'est vraiment le mauvais chemin
558   2 5 et à ce moment-là, je préfère en parler avec Marcel,
559   2 5 et qu'on prenne une heure ensemble à en parler
560   2 5 et puis ça permet de prendre du recul par rapport à une situation pour dire:
561   2 5 "je n'ai pas le droit non plus d'insister autant"
562   2 5 même si ma responsabilité elle est que
563 NS 2 5 au bout de quatre ans ensemble, elle sache mieux lire, écrire

Jean explique son attitude par des arguments qui rappellent ceux de l’institutrice Mylène : « on ne peut s’entendre avec quelqu’un que si on a vu les mêmes choses » (465-478). Sans cette expérience commune, il n’est pas de confiance possible (577-586). Mais c’est sans doute aussi cette proximité dans un « faire-ensemble » ou un « voir-ensemble » qui empêche un « dire-ensemble », une communication avec les autres membres de l’équipe.

Ainsi, Jean parvient à la formulation d’un compromis, lui permettant de concilier sa mission d’enseignement et l’interdit de maltraitance en une position d’équilibre instable révélé par la tristesse de l’enfant. Mais il convient lui-même que ce nouveau principe ne le rassure aucunement en ce qui concerne sa place dans l’établissement. Il se sent peut-être plus juste envers son élève, mais pas moins seul.