3.4.1. Octave et l’espace du jeu

Pour Octave, contrairement aux idées reçues, la pratique quotidienne de son métier d’éducateur technique auprès des adolescents, ce n’est pas la réalité. L’ensemble des informations rassemblées dans la mémoire institutionnelle du dossier d’un élève, ce n’est pas non plus la réalité. Mais les discussions en réunion, les échanges en rencontre, ce n’est pas plus la réalité. Selon Octave, la réalité se laisse deviner dans l’écart qu’il y a entre toutes ces expériences. La pratique quotidienne permet de se rendre compte que le dossier ne résume pas l’élève. Les contacts interprofessionnels indiquent au praticien s’il fait fausse route :

207.   6 5 Et bien, c'était les réunions pluridisciplinaires qui ont permis de dire:
208.   6 5 "Est-ce qu'on ne se plante pas là?
209.   6 5 Est-ce qu'on est dans la réalité?"
210. RC 6 5 (...) Il y avait des personnes qui avaient envie de penser autour des enfants,
212. RC 6 5 on n'est pas là pour penser à leur place,
213. RC 6 5 mais pour penser autour d'eux, dans un rôle d'entourer,
214. NS   5 comme quand je pratique mes apprentissages en atelier,
215. NSRC   5 j'ai une méthodologie qui est très entourante au départ, et de moins en moins,
216. NS   5 c'est une méthodologie très particulière,
217. NS   5 et je crois qu'on doit travailler comme ça:
218. PR   5 c'est à dire qu'on doit arriver, pas à étouffer, attention, d'entourer on pourrait vite rentrer dans un mode étouffant,
219. RC PR   5 c'est enveloppant, une enveloppe de soutien, oui vraiment de soutien,
220. PR   5 parce que je pense que le soutien est primordial,

Pour l’éducateur, la réalité de l’apprentissage se révèle dans l’extrême proximité de l’élève et de l’enseignant, quand une même émotion accompagne le geste de l’adulte et de l’enfant. C’est ce qu’il nomme sa méthodologie de l’enveloppement et du soutien. L’autonomie s’acquiert par l’éloignement progressif du maître, le désétayage de l’apprenti. C’est la même démarche qu’il adopte avec ses collègues en réunion, sous forme d’un compromis : 

  • « une méthodologie » référant au monde des techniques et des compétences
  • « de soutien », progressivement atténué, pour garantir le respect des personnes et l’autonomie de chacun
  • « qui enveloppe et entoure », telle une nouvelle peau qui instaure une frontière entre le corps institutionnel et l’extérieur

Cette pratique du compromis valide tout un travail antérieur de relativisation, « quand on est le nez dans le guidon » (189), ou de clarifications successives, qui intègrent progressivement les partenaires (127-140). L’essentiel pour lui reste de pouvoir trouver l’articulation juste, le bon jeu entre les différentes pièces de l’assemblage :

227.   6 5 Effectivement, j'ai fait une recherche aussi personnelle, par moments seul,
228.   6 5 mais il y a toujours eu une mise en commun,
229.   6 5 et il y a toujours eu une confrontation d'idées
230.   6 5 qui fait qu'on a toujours pu réajuster aussi.

Octave saisit ainsi la fonction du paradoxe : mettre en jeu des éléments suffisamment proches pour permettre la mise en commun, suffisamment irréductibles pour toujours susciter la confrontation. Ici, la méthodologie s’applique à des poiesis quand enveloppement ou soutien évoquent des praxis. L’enveloppe rassemble un contenu, dont elle indique souvent l’identité ; le soutien évoque une résistance, une force, un mouvement centrifuge.