4.2.1. L’intelligibilité des situations

Comment chaque enseignant perçoit-il les situations dans lesquelles il est engagé ? Autrement dit, dans quelle mesure dispose-t-il d’une vision globale et cohérente des ressources disponibles, des mondes en présence et des formes d’accords en jeu ? En visitant à nouveau le corpus, nous pouvons dresser un tableau rassemblant des exemples de situation qui mettent en évidence les savoir-faire, en formation ou aboutis, les plus caractéristiques de cette dimension.

Tableau n°4- 26 L’intelligibilité des situations Débutants et experts
  Débutant Expert
  Vision partielle, difficulté à distinguer l’essentiel de l’accessoire Vision synthétique, saisie rapide des signaux faibles, économie des informations

SAVOIR MOBILISER
Mylène dans le module 1 :
A cause d’un fort besoin de respiration, l’institutrice surinvestit le petit groupe d’enseignants, qui peu à peu s’isole du reste de l’établissement. La perspective institutionnelle se perd, au bénéfice de recherches d’intérêts plus claniques.
La préparation de la synthèse de Bérénice :
L’éducatrice repère le moindre objet qui lui permet d’interpeller chaque collègue, en rencontre spontanée d’abord, puis en réunion pluridisciplinaire

SAVOIR TRADUIRE
Christiane et « sa » psychose :
Depuis que le psychiatre a lâché un diagnostic au sujet de son élève, l’institutrice est envahie par la colère (contre le psy, les parents, l’école) et ne peut plus imaginer le moindre mode d’accompagnement
Les moyens d’Aubin : dès qu’on propose un dispositif de prise en charge, Aubin en dénonce le coût excessif ou le manque de moyens
Jean et les réunions pluridisciplinaires
L’instituteur développe une vision d’ensemble des réunions et décode les enjeux que recèle chaque dispositif. Il perçoit les manoeuvres de dissimulation et s’y adapte en adoptant une stratégie de différenciation des espaces

SAVOIR S’ACCORDER
Le mercredi de Laszlo
L’éducateur technique a une priorité : ne pas venir travailler le mercredi matin. afin d’arriver à son but, il est prêt à instrumentaliser toutes les formes de coopération. Ainsi, il confond le moyen (des emplois du temps équilibrés) avec la fin (un accord sur l’accompagnement pédagogique)
Gaspard et l’Amour
Convaincus que seul un idéal d’amour et de respect les autorise à se présenter devant leurs élèves, Gaspard et sa collègue éducatrice sont attentifs aux détails insignifiants : une larme, un sourire.

Dans cette dimension, Christiane représente l’archétype de la débutante. La révélation du diagnostic de psychose non seulement inhibe ses compétences à l’enseignement, mais au-delà l’empêche de considérer tout recours interprofessionnel. Submergée par les affects, elle n’envisage d’échanger avec le psychiatre que dans des modalités proches du passage à l’acte, du moins dans la transgression des usages de prise de parole. et quand elle évoque la question de l’accord, c’est essentiellement pour révéler que « c’est normal d’être trompé », s’enfermant ainsi dans un relativisme absolu.

A l’opposé, Bérénice peut passer pour un modèle d’expert en intelligibilité. La connaissance des réseaux institutionnels semble sure. Le modèle de l’emploi du temps qu’il faut remplir stimule l’éducatrice à solliciter toutes les ressources possibles. Mobilisant des objets très marginaux des mondes de référence (des massages, des changes), elle intègre dans les registres langagiers collectifs l’enfant qui sait si bien se faire oublier. Ainsi, au-delà d’une simple compétence professionnelle, fait-elle preuve d’une capacité avérée à la solidarité humaine.