4.2.2. L’autonomie

Peu à peu, le professionnel acquiert son autonomie. Il prend progressivement de la distance avec les règles formelles qui lui ont été imposées au départ. Il intériorise les différentes normes et ne nécessite plus, pour s’y conformer, de procédures systématiques d’entraînement. en ce qui concerne notre champ d’étude, l’acquisition de l’autonomie se traduit essentiellement par le degré de liberté que les acteurs s’autorisent par rapport aux fonctionnements institutionnalisés.

Tableau n°4- 27 L’autonomie Débutants et experts
  Débutant Expert
  Application des règles formelles, utilisation des règles d’entraînement Totale : on peut en fixer les limites ; capacité à définir ses propres règles

SAVOIR MOBILISER
Ahmed et « la procédure normale »
L’éducateur veille à interroger tous ses collègues, comme on dresse un inventaire. L’essentiel n’est pas de trouver une solution mais de ne pas faire d’erreur de procédure
Danielle et sa décharge
La directrice profite des attributs de son statut pour inventer des dispositifs singuliers de coopération : une analyse informelle avec un psychologue, un mini-conseil avec l’éducateur sportif...

SAVOIR TRADUIRE
Les arguments de Laszlo : quand il explique son travail avec une psycho-logue, Laszlo a de grandes difficultés à préciser ses arguments. Invoquer « des arguments pédagogiques » lui semble suffisant pour satisfaire notre curiosité
Le dossier d’Yvonne : l’institutrice traduit mot à mot en NS le discours PR du psychiatre pour justifier qu’un élève quitte l’IR avec un dossier lourd car redondant.
Les secrets d’Elie :
avec malice, le directeur rappelle qu’il n’y a aucune règle de totale restitution. Chacun est libre de dire ou taire, et exprime ainsi les limites de son champ de compétence exclusif et la confiance qu’il a dans ses collègues.
SAVOIR S’ACCORDER
Les décharges de Gautier : l’enseignant mesure toute prétention à l’accord en termes de charges à répartir, de fatigue à démultiplier... sans autre principe que l’égalité arithmétique Ernest le chef de camp (1) : l’instituteur choisit d’importer ses compétences de responsable de centre de vacances pour appréhender sa collaboration quotidienne avec une éducatrice

Ahmed montre à de nombreuses reprises son manque d’autonomie. Son raisonnement s’appuie sur des schémas logiques simplistes et immuables. Par choix binaires (référent/non référent, problème relationnel/problème de travail), il cherche à appliquer une procédure prédéterminée, qu’il explicite en détail . L’objectif terminal n’est pas de résoudre la difficulté qu’il a rencontrée, mais d’isoler le champ professionnel et le collègue responsable de l’échec du jeune et de sa remédiation.

Quand il évoque justement les pratiques souhaitables avec cet élève, il décrit des principes à respecter, des règles auxquelles il doit se soumettre : il faut « respecter des paliers », on doit « tirer des conclusions ». Et le seul enseignement qu’il tire de cette expérience est qu’il faut parfaire les consignes : « ça a pointé un manque dans notre progression des stages. »

Si Ahmed l’éducateur fait figure de débutant dans la dimension de l’autonomie, l’institutrice-directrice Danielle peut en représenter l’expertise. Elle invente des formes de coopération, selon des modalités propres à son statut. En effet, quelques heures par semaine, son temps de décharge lui autorise des formes singulières de travail. Au cours des rencontres qu’elle privilégie alors, elle sait varier les postures. Cherchant à rester « neutre », elle intervient le moins possible durant ses collaborations avec l’éducateur sportif, se contentant de « contrôler » la normalité des situations scolaires. A l’opposé, avec le psychologue qu’elle questionne, dit-elle, sans relâche, l’institutrice parcourt tout le registre Praxis et Relation, oubliant même parfois les références aux pratiques d’enseignement. Dans la dimension de l’accord, son aptitude à l’autonomie se traduit par le désintérêt qu’elle manifeste pour certaines instances de réunion existantes : durant l’entretien, Danielle n’évoque aucune concertation en synthèse ni en réunion de coordination. Définissant ses propres cadres de travail interprofessionnel, elle construit des accords partiels, essentiellement sur le mode de la clarification. Sa position institutionnelle d’autorité lui permet cette singularité.