4.3.3. Un contexte institutionnel

Nous venons de citer plusieurs fois Ahmed et Laszlo, de l’IME des Gangas, ou Christiane et Gautier, de L’IME des Alpages, les uns comme les autres souvent considérés comme faiblement compétents. A l’opposé, Gaspard ou Jean, de l’IME Circaëte, illustrent des savoir-faire d’experts. Faut-il en conclure que le niveau de compétence ne dépend que des caractéristiques institutionnelles, et que l’organisation de l’établissement induit la capacité des enseignants à produire des accords ?

Nous avons pourtant, à plusieurs reprises, noté des écarts entre les discours d’enseignants du même établissement :

Pour éclairer cette ressemblance, le critère de similitude ou de différence des qualifications ne paraît pas pertinent. Certes, nous avons déjà noté que professeurs et éducateurs ne mobilisaient pas de la même façon les ressources interprofessionnelles. 449 Les uns privilégient les ressources du monde scolaire ; les autres s’ouvrent plus spontanément aux instances interprofessionnelles. Même en arguant de cette différence, on ne peut prétendre que les éducateurs sont plus ou moins compétents à l’accord interprofessionnel que leurs collègues instituteurs. Dans plusieurs dimensions, on peut opposer le novice Xavier et Octave l’expert, tous deux éducateurs techniques spécialisés. Il en va de même en ce qui concerne, par exemple, les instituteurs Gautier et Gaspard.

Il faut donc considérer dans quelle mesure l’organisation institutionnelle 450 favorise l’émergence de situations où peut ou non se déployer une expertise professionnelle à l’accord interprofessionnel. Afin d’approcher cette dimension, nous pouvons comparer les modalités connues de concertation interprofessionnelle dans les établissements où sont repérés soit des experts, soit des débutants.

Tableau n°4-31 Situations d’expertise et de noviciat modalités institutionnelles
  Etablissements dont les enseignants sont caractérisés par une dimension d’expertise Etablissements dont les enseignants sont
caractérisés par une dimension de noviciat
Etablissement d’exercice IME Balbuzard IME Circaëte IME de Brunnich IR Hirondele IME les Gangas IME des Alpages IES Cardinal IR Spinoza IR Cigognes
Enseignants considérés Pervenche Bérénice Octave Gaspard
Jean
Ernest
Elie
Eglantine Ahmed
Laszlo
Christiane
Gautier
Mylène
Nadine
Yvonne
Carla
Aubin
Contacts interpro-fessionnels aisés
XXXXXX


XXXXXX

XXXXXX

XXXXXX
 
XXXXXXX

XXXXXX

XXXXXX
Réunions de coordi-nation ou de projet
XXXXXX

XXXXXX

XXXXXX

XXXXXX

XXXXXX
     
XXXXXX
Réunions cliniques analyse de pratique
XXXXXX

XXXXXX
 

   
X
 
Réunions de Synthèse
XX----XX


-X-X-X-X-
 
XXXXXX

XXXXXX

XXXXXX

XXXXXX
 

Nous pouvons penser, à partir de ces données, que la possibilité offerte par l’établissement de contacts informels avec des professionnels d’autres champs ne favorise pas l’expertise à l’accord interprofessionnel, si elle n’est pas accompagnée de possibilités de réunions de coordination ou de projet. Autrement dit, il n’y a pas de relation d’exclusivité entre ces deux formes de concertation interprofessionnelle : bénéficiant de contacts interprofessionnels aisés, les enseignants manifestent plus de savoir-faire experts s’il disposent aussi de possibilités de réunions. Seule parmi les débutants en accord interprofessionnel, Carla mentionne une forme de réunion proche de l’analyse des pratiques. Mais c’est pour en regretter l’absence. Aussi on peut penser que l’écart de mention au sujet de ces formes de réunion est significatif. La présence de ces espaces privilégiés de respiration prédispose les enseignants à exercer une compétence à l’accord, avons-nous déjà repéré.

Mais l’écart le plus important que nous pouvons constater concerne les réunions de synthèse. Excepté Aubin dont on a souvent apprécié l’inclinaison à ne pas évoquer de pratiques précises, tous les enseignants caractérisés par des niveaux de compétence faible mentionnent l’importance à leurs yeux de la réunion de synthèse. Au contraire, parmi le groupe des experts en accord, seuls Pervenche, Bérénice, Octave, Elie et Ernest abordent ce sujet. Ernest d’abord évoque d’étranges synthèses, qu’il qualifie d’ « intime », à l’échéance aléatoire, plus proches des réunions de concertation que de véritables synthèses. Elie explique que, dans son établissement, les synthèses remplissent une fonction particulière, les élèves étant invités à leur issue. Octave regrette d’avoir trop écouté les conclusions des synthèses, les rapports et les dossiers, et d’avoir ainsi perdu la vérité de son métier.

L’éducateur fournit là une interprétation que nous percevons comme pertinente : la synthèse, mise en scène institutionnelle de l’accord interprofessionnel, éloigne les enseignants de la vérité de leur exercice professionnel. Octave témoigne ainsi d’autre chose que d’une intelligibilité experte des situations ou d’une excellente autonomie vis à vis des règles de fonctionnement. Se démarquant de ses collègues Pervenche ou Bérénice qui considèrent la synthèse comme un horizon à venir, il tire les enseignements d’une expérience révolue : dans de tels dispositifs, l’institution métabolise et évacue l’expérience des enseignants, seule susceptible de contenir une part de vérité. Les accords qui en résultent risquent de se réduire à des conventions figées, et ne peuvent constituer de fiables étais pour les enseignants.

Une présentation schématique permet de ressaisir les éléments caractéristiques d’une situation propice à l’expression d’une compétence à l’accord interprofessionnel.

Notes
449.

Voir tableau n°4-08, infra, p. 308

450.

Nous nous limitons à l’évocation de l’organisation. D’autres dimensions sont vraisemblablement pertinentes ( le climat institutionnel, la culture d’établissement), mais inaccessibles par notre méthodologie.

451.

On peut lire ainsi ce tableau : les enseignants de l’IME Circaëte évoquent lors des entretiens l’existence dans leur établissement de réunions de coordination ou de projet ; en revanche, ils ne mentionnent pas de rencontres interprofessionnelles aisées.