Conclusion

Au terme de notre parcours, nous rappelons notre projet, les étapes du cheminement et les questionnements qui émergent.

Changer le regard

Nous avons inscrit notre recherche dans un projet de rupture. En effet, des logiques ségrégatives relèguent les personnes en situation de handicap, leurs familles ou les professionnels qui s’en occupent au seuil de l’espace commun. Notre projet est non seulement de témoigner de la difficulté à exercer des fonctions d’enseignement auprès d’enfants ou d’adolescents souvent en grande souffrance, mais au-delà, de révéler combien ces expériences professionnelles, ignorées ou décriées, grandissent les sujets qui s’y impliquent.

C’est pourquoi notre démarche a été de rompre avec l’usage le plus fréquent de la recherche, qui conduit à caractériser les enseignants des élèves dits déficients par leur propre manque : identité malmenée, efficacité réduite, savoir-faire limités... Au terme d’une vingtaine d’années d’exercice en établissement médico-éducatif, conscient de la diversité et, souvent, de la qualité des pratiques pédagogiques qui s’y développent, nous avons postulé, au commencement de cette recherche, qu’il est possible de considérer comme compétents les enseignants en EME, au même titre que d’autres professionnels d’autres secteurs d’activité. Pour ce faire, convaincu que les acteurs ont accès à l’intelligence de leurs pratiques, nous nous sommes engagé dans une démarche de recherche résolument compréhensive.

Ainsi, nous n’avons pas adopté de catégorisations abusives, importées d’autres champs des pratiques sociales. En revanche, en rupture avec les usages, nous avons considéré les enseignants dans leur diversité de statut ou de qualification : instituteurs, professeurs, éducateurs, éducateurs techniques... Tout au long de la recherche, nous avons constaté que ces différences n’avaient que peu d’incidence sur les pratiques ou les représentations.

Nous avons également tenté d’éviter les explications simplificatrices, rendant compte de pratiques complexes à partir d’un regard partiel. Relevant les conflits qui structurent ce champ social, nous avons décrit la diversité des mondes en présence. En référence à la théorie sociologique des Economies de la Grandeur, nous en avons dressé les inventaires et dévoilé les principes. Ainsi, nous avons pu lire les expériences des enseignants non comme des configurations modèles encombrées par de multiples éléments hétéroclites, mais comme des situations singulières articulant des objets de différents mondes.

Mais notre démarche est aussi compréhensive car nous avons toujours maintenu une volonté d’empathie à l’égard de nos pairs enseignants en EME. Ainsi, avons-nous étayé notre propos sur deux enquêtes auprès d’eux. Dans la préparation et la mise en œuvre de ces outils (construction du questionnaire, conduite des entretiens), nous avons particulièrement veillé à permettre aux éducateurs ou aux professeurs de rendre compte de ce qu’ils pensent être la vérité de leurs pratiques. Leurs propos, ainsi suscités, n’éludent que rarement l’évocation d’aspects jusqu’alors obscurs de leur expérience, de moments de doute ou d’échec, d’un quotidien qu’ils jugent eux-mêmes médiocre, mais aussi parfois de « miracles » ou de leurs intimes aspirations.