L’homogénéisation des espaces délibératifs : une solution envisagée

La question de l’homogénéisation des espaces délibératifs a été posée par le courant des gender studies, par exemple par Jane Mansbridge et, à sa suite, Nancy Fraser, à partir du constat d’une domination masculine dans les espaces délibératifs 138 . Comme le rappelle cette dernière, des études féministes ont établi, à partir de l’observation des pratiques discursives au sein d’assemblées délibérantes mixtes, les constats suivants : « les hommes tendent à interrompre les femmes plus souvent que les femmes n’interrompent les hommes ; les hommes ont aussi tendance à parler plus que les femmes, prenant la parole plus fréquemment et plus longuement ; et les interventions des femmes sont plus souvent ignorées et restent plus souvent sans réponse que celles des hommes » (FRASER 2001, p. 135). L’homogénéisation des espaces délibératifs peut alors apparaître comme une solution pour résoudre ces inégalités de participation à la délibération.

Nancy Fraser présente les effets positifs en termes de réduction des inégalités et de réduction des privilèges des groupes sociaux dominants de l’apparition de « contre publics subalternes ». Ils constituent « des arènes discursives parallèles dans lesquelles les membres des groupes sociaux subordonnés élaborent et diffusent des contre-discours, afin de formuler leur propre interprétation de leurs identités, leurs intérêts et leurs besoins » (p. 138). Ces contre-publics, qui sont des espaces de repli sur soi, ne développent leur potentiel émancipateur, qu’à partir du moment où des discussions inter-publics se produisent, permettant aux contre-publics de contester les publics dominants.

Cette question de l’homogénéisation des espaces délibératifs, si elle ne s’est jamais posée au niveau du syndicat étudié, s’est posée au moment de la création de la fédération Sud-PTT, et plus précisément au moment de son congrès fondateur. La proposition de création d’une commission Femmes ouverte uniquement aux femmes a été mise discussion au moment de ce congrès. Elle a été majoritairement rejetée et jamais reprise par la suite. Dans l’extrait d’entretien suivant, une militante fondatrice revient sur cette idée de mise en place une commission Femmes non mixte :

La justification de ces espaces non mixtes s’appuie donc à la fois sur le fait que leur mise en place permet à des femmes de participer à des activités de délibération dont elles se trouveraient exclues dans des espaces mixtes, du fait d’une tendance générale à une distribution inégalitaire de la parole en faveur des hommes, mais aussi sur le fait qu’elle permet aux femmes d’aborder des questions, et notamment les questions de domination sexuelle, difficiles à aborder dans le cadre d’une situation de mixité. La militante interrogée dans l’extrait d’entretien rapporté pose le problème de la nécessaire articulation entre espaces non mixtes et espaces mixtes, afin d’activer le potentiel émancipateur du travail délibératif dans les espaces non mixtes et des disponibilités que la participation à des espaces délibératifs multiples exige, heurtant là un autre facteur explicatif des inégalités de participation 139 .

Notes
138.

Jane Mansbridge et Nancy Fraser prennent en compte dans leurs analyses et dans leurs réflexions plusieurs formes de domination, la domination sexuelle, mais aussi la domination sociale et la domination ethnique.

139.

Nous nous interrogeons sur les facteurs explicatifs de la participation syndicale dans la seconde partie (chapitre 1) et la disponibilité individuelle en constitue un des principaux.