La concentration des responsabilités comme problème

La concentration des responsabilités syndicales sur un petit nombre de militants est construit comme problème par les militants étudiés et ceci depuis la création du syndicat.

Ainsi, par exemple, dans les documents préparatoires au premier congrès du syndicat qui se tient en 1994, on peut lire dans une partie du bilan du fonctionnement syndical consacrée aux « points noirs » :

À la fin de la période d’observation, une contestation de la centralisation du fonctionnement syndical a émergé du côté d’un groupe de militants de terrain, des anciens, ayant dans un passé plus ou moins lointain exercé des responsabilités au niveau départemental (permanences syndicales au local et membres du BS). Cette contestation se manifeste notamment dans l’élaboration d’une proposition de réforme du fonctionnement syndical, visant à une décentralisation de celui-ci et à un développement des sections et du militantisme de base, de terrain 223 .

Jean, qui fait partie des « contestataires » 224 évoqués ci-dessus, explique, dans le cadre d’un entretien que, malgré les bonnes volontés militantes, il s’est constitué au sein du syndicat un « noyau hyperactif ». Il identifie cette évolution comme « une tendance lourde », à laquelle aucune organisation militante ne peut échapper. Il convient alors de chercher à en limiter les effets :

On retrouve ici l’intégration dans les représentations militantes de la loi d’airain de l’oligarchie identifiée par Robert Michels, l’idée d’une concentration des responsabilités comme tendance « naturelle » (MICHELS 1971).

Dans les débats produit lors du congrès 2003, tous les militants qui y prennent part s’accordent sur la nécessité d’élargir la participation. « Il faut réussir à associer plus de militants à la vie du syndicat », peut-on lire dans la résolution Fonctionnement présentée par le bureau syndical sortant. Dans le texte présenté par les contestataires, l’exigence qui sous-tend les propositions formulées est identique, si ce n’est qu’on retrouve dans ce texte une dénonciation plus ou moins explicite de la centralisation du fonctionnement syndical autour du bureau syndical. Voici la phrase qui conclut ce texte : « les solutions proposées dans cette motion pourront apparaître pour certains radicales, mais nous pensons sincèrement qu’elles sont nécessaires si l’on ne veut pas voir notre syndicat sombrer dans un ‘centralisme démocratique’ que beaucoup ont déjà subi dans d’autres organisations syndicales et qui fait fuir même les meilleures volontés ! ».

Dans les discours des membres du bureau, ce qui est plus volontiers mis en avant, c’est l’exigence d’élargissement de la participation plus que le constat de concentration des responsabilités, qui peut être vécu comme une mise en cause de leur comportement.

La situation de concentration des responsabilités et sa construction comme problème ne semblent pas être spécifiques au syndicat étudié. Ainsi, dans une contribution au débat sur la règle fédérale de limitation du temps d’occupation du statut de permanent fédéral présentée par deux syndicats favorables à sa suppression, on peut lire : « la vie du syndicat repose sur deux ou trois militants […] Malgré nos efforts pour favoriser la participation de plus d’adhérents à nos structures et aux réunions avec la boîte, le résultat est faible ». Le texte poursuit : « il y a une vraie délégation de pouvoir aux ‘vieux’ » (2001).

Ces critiques, ces évaluations négatives, sont sous-tendues par la conception d’un syndicalisme de militants, fondé sur l’investissement minimal de chacun, sur la conception d’une participation diversifiée, étendue au plus grand nombre.

Notes
223.

Cette contestation prend parfois la forme, dans le discours des contestataires, d’un conflit entre des militants qui se désignent comme des « militants de terrain » et les militants qui forment l’équipe départementale, désignés comme « bureaucrates ». La réponse apportée par les militants de l’équipe départementale à cette représentation des choses est une représentation alternative dénonçant le militantisme qui se dit « de terrain », le militantisme local, comme repli corporatiste, et qui fait de l’équipe départementale la garante de la défense des intérêts collectifs. Ces constructions du conflit ne sont pas activées en permanence mais se retrouvent de temps à autre au détour d’une phrase. On observe toutefois un consensus général sur l’importance du militantisme à la base, avec une présence quotidienne sur le terrain professionnel, au contact direct des salariés, et donc un consensus sur l’importance du rôle joué par les sections syndicales.

224.

La désignation de ces militants comme les « contestataires » est employée dans un souci de simplification. Son usage, s’il est commode dans l’écriture, présente un défaut dans sa tendance à figer les militants qu’elle désigne dans une posture contestataire et à réduire leurs comportement à la contestation, ce qui n’est pas conforme à la réalité.