La décision sans vote

Dans les réunions observées, et notamment dans les réunions de bureau, certaines décisions sont prises sans vote.

L’absence de volonté affirmée de faire usage de procédures alternatives au vote

Les militants étudiés n’affirment pas de volonté de faire usage de procédures alternatives au vote, contrairement à ce qui était attendu au moment de l’entrée sur le terrain. Le fonctionnement des « nouvelles » organisations militantes est souvent marqué par un refus de recourir au vote et par le choix de la décision « au consensus » 300 . Nous pensions, avant d’entrer sur le terrain, que c’était le cas de Sud-PTT et souhaitions alors approfondir une réflexion sur le rapport au vote ouverte au cours d’un premier travail de recherche sur le militantisme associatif. Plusieurs des militants rencontrés alors, et plus particulièrement ceux faisant partie des « nouvelles » associations militantes (comme par exemple Ras l’Front), faisaient alors part d’un rejet collectif du vote et du choix de la « décision au consensus » 301 .

Pour ce qui est des procédures de désignation de personnes, le recours au tirage au sort n’a jamais été envisagé par les militants de Sud-PTT, si ce n’est sur le mode de la boutade. C’est par exemple le cas lors d’une réunion de BS, dans le cadre d’une discussion sur la désignation des permanents syndicaux (BS n°17). Alors que les risques de durcissement des conflits internes impliqués par le recours à une procédure de sélection – jusque là inexistante, tous les volontaires pouvant avoir accès à un poste de permanent – sont évoqués, une participante suggère le recours au tirage au sort. Le ton sur lequel elle formule sa proposition indique qu’elle n’attend pas qu’elle soit prise en compte par les autres, ce qui ne sera d’ailleurs pas le cas.

Certains des militants rencontrés au sein de Sud-PTT militent par ailleurs au sein d’associations qui, dans le fonctionnement de leurs instances décisionnelles, n’utilisent pas le vote. C’est le cas par exemple de Pierre qui milite au sein d’ATTAC (il est membre du conseil d’administration et du bureau du groupe ATTAC local). Dans l’extrait d’entretien suivant, il explique, en se fondant sur son expérience des pratiques décisionnelles au sein de ce groupe, ce qu’est la décision au consensus et indique pourquoi il considère que la procédure du consensus est préférable à celle du vote :

Il souligne le rôle joué par une personne spécifique, ici le président d’ATTAC, dans la production du consensus. Cette personne fait un travail de reformulation des propositions émises dans la discussion, travail qui doit permettre d’aboutir à une nouvelle formulation, consensuelle, à laquelle personne ne s’oppose. Il vérifie alors l’absence d’opposition en adressant à l’assemblée une phrase du type : « tout le monde est d’accord ? ». Si personne ne manifeste de désaccord, la proposition est considérée comme adoptée. Pierre décrit dans cet extrait le processus désigné ici comme consensus créatif, observé dans les réunions à Sud-PTT et évoqué dans la suite du développement.

L’appréciation positive de la décision au consensus n’est pas partagée par tous les militants. Le cas de Pierre relève même plutôt de l’exception. Les extraits d’entretiens réalisés avec Paul et Jacques présentés ci-après révèlent une appréciation plutôt négative de la décision au consensus comme indécision.

Illustration 1

Illustration 2

Tous les militants interrogés indiquent qu’il n’y a pas de décision au consensus au sein du syndicat. Certains peuvent le regretter parce qu’ils jugent qu’il s’agit d’une procédure décisionnelle plus ajustée à un principe de démocratie, d’autres au contraire s’en réjouissent étant donné la perception négative qu’ils ont de la procédure. Les observations réalisées indiquent toutefois que dans les réunions, des décisions se prennent sans vote et qu’il y a donc des décisions au consensus, celles-ci pouvant se présenter sous des configurations différentes.

Notes
300.

Voir par exemple le travail de Daniel Mouchard sur le fonctionnement de AC ! (MOUCHARD 2002).

301.

PERNOT (Hélène), 1997, Militantisme moral et estime de soi. Enquête auprès de vingt militants associatifs, Mémoire de fin d’études, sous la dir. de Paul Bacot, Institut d’études politiques, Université Lumière Lyon 2. Dans le cas des militants de Ras l’Front, le rejet du vote et le choix de la procédure du consensus s’appuie sur un principe de démocratie, qui, tel qu’il est mobilisé dans les discours militants apparaît comme un principe de démocratie délibérative.