Jacques, candidat à un poste de permanent (1998)

En février 1998, dans le cadre d’une assemblée générale, le débat sur la question du permanent syndical est réouvert. C’est l’initiative de Jacques, qui propose sa candidature pour assurer une permanence syndicale à temps plein, qui provoque la réouverture du débat. La convocation de l’AG est liée à la volonté de l’équipe du BS de soumettre la question directement aux adhérents.

Jacques est postier, chauffeur poids lourds, et travaille de nuit. Entré à LP en 1978, il rompt alors avec une carrière d’éducateur spécialisé. Il a suivi des études supérieures (école normale). Il entre à Sud en 1994, alors que le syndicat est encore embryonnaire, et il participe activement à son développement. Il dispose alors d’une expérience syndicale antérieure : il a milité quatre ans à la CFDT (il était alors secrétaire de la section d’un centre de tri) ; il quitte la CFDT en 1987 et entre deux ans plus tard à la CFTC dans laquelle il ne reste que quinze mois. À Sud-PTT, il est membre du BS et représentant légal du syndical. Il fait partie de ces individualités fortes qui animent la vie du syndicat, assumant un très grand nombre de tâches, jouant le rôle de référent pour les autres militants, du fait de sa compétence militante vécue et reconnue, intervenant beaucoup dans les débats. Au moment de la discussion, il est détaché deux jours par semaine. Toutefois, travaillant de nuit, il est présent au local syndical et assume des tâches syndicales bien au-delà de ces deux seuls jours.

C’est lors d’une réunion de l’instance, la première réunion de BS observée, qu’il soumet sa proposition (BS n°1). Il en a discuté auparavant, au cours de conversations informelles, avec d’autres militants, mais c’est la première fois qu’il la soumet au collectif. Il est absent lors de cette réunion de bureau au cours de laquelle sa proposition est examinée. Le débat qui émerge alors porte non seulement sur le fond de la proposition (faut-il accepter l’instauration de permanents à temps plein dans le syndicat ?) mais aussi sur les modalités de la décision (faut-il convoquer une AG ou organiser une consultation des adhérents par courrier ? la question ne concerne-t-elle que les adhérents du secteur LP ou l’ensemble des adhérents du syndicat ?). La discussion se clôt sur une décision, celle de convoquer une assemblée générale et donc de faire trancher la question directement par les adhérents. Les arguments avancés en faveur de ce choix s’appuient notamment sur le fait que l’enjeu est jugé trop important pour que les membres du BS imposent leur décision à l’ensemble des adhérents. L’enjeu est important parce qu’une grande partie des adhérents l’évaluent comme tel (constat qui a pu être formulé à partir des discussions qui se sont déroulées précédemment sur la question des permanents), parce que c’est une question qui est porteuse de divisions marquées et parce que la position majoritaire est incertaine.

Lors de l’assemblée générale, Jacques présente les motifs qui sont à l’origine de sa proposition. Il la présente comme étant liée aux « bons » résultats obtenus par Sud-PTT lors des élections CAP/CCP qui se sont tenues à la fin de l’année précédente à LP. Ces bons résultats impliquent pour le syndicat des responsabilités accrues et « la création d’un permanent à 100% devient une nécessité ». Il explique aussi la manière dont il envisage le rôle de ce permanent. Son rôle serait d’ « aller sur le terrain, de faire des tournées dans les bureaux, de coordonner le travail avec les centres de tri ». Il explique qu’en tant que chauffeur poids lourds travaillant de nuit, ses contacts avec le « terrain », avec les salariés de LP sont très limités. Il propose par ailleurs qu’un bilan soit établi au bout de six mois, puis un nouveau bilan à la fin de la première année, avec la mise en discussion de la décision de reconduite du permanent.

À l’issue d’un vote, sa proposition est rejetée très majoritairement : 27 voix contre, 17 pour, 7 abstentions et 1 NPPV. Au-delà de l’opposition de principe au permanent syndical, largement répandue chez les adhérents, un autre facteur a pesé dans le rejet de la proposition, c’est le candidat lui-même et la place qu’il occupe dans la vie syndicale. Si une partie des adhérents justifient leur soutien à la proposition en avançant l’argument des compétences militantes dont le candidat a jusqu’ici fait la preuve dans son travail syndical, une autre partie, plus nombreuse, juge que donner trop de place à cette personne compétente est dangereux pour le fonctionnement de l’organisation et l’expose à un processus de centralisation des responsabilités sur celle-ci et de dépossession des autres militants, nécessairement moins impliqués du fait du temps limité qu’ils consacrent à leurs activités syndicales. La discussion débouche donc ici sur une consolidation de la règle de limitation des jours de détachements par militant.