L’évolution des positions individuelles

Un processus de recomposition des exigences et d’évolution de la position par rapport à la question de la limitation est observable au niveau des individus. Ce n’est pas tant la discussion qui engage ce processus que l’expérience personnelle, mais la remise en discussion permet à cette recomposition des exigences liée à l’expérience de produire ses effets. Plusieurs cas ont été observés dans le syndicat étudié par rapport à la question de limitation des détachements syndicaux.

Les cas d’Henri et d’Anne sont deux cas de passage d’une opposition au principe du permanent à temps complet à une position favorable à celui-ci. L’évolution est liée à l’expérience vécue de militant permanent (à temps partiel) au sein du syndicat étudié.

La position d’Henri par rapport à la règle d’interdiction des permanents détachés à plein temps évolue au cours de la période d’observation. Au moment de l’AG n°1 au cours de laquelle la proposition de Jacques est discutée, il y est fermement opposé. Interrogé à nouveau un peu plus de deux ans plus tard, il se dit moins défavorable. Il justifie l’évolution de sa position au regard de la situation de désorganisation interne du syndicat (manque de suivi et de coordination). Il pose toutefois des conditions à son acceptation du détachement de permanents à plein temps :

L’expérience des dysfonctionnements interprétés comme un manque de coordination et de suivi conduit à une évolution de sa position par rapport au permanent syndical. Celui-ci apparaît alors comme une solution possible aux dysfonctionnements. Le vécu quotidien des dysfonctionnements incite à privilégier, au moins sur la question des permanents, une exigence d’efficacité sur l’exigence de démocratie et de partage des postes.

Une évolution semblable se produit dans le cas d’Anne.

Au cours du tour de table sur la question des permanents détachés à plein temps qui se produit lors du congrès 2003 du syndicat étudié, d’autres militants semblent avoir changé, au moins partiellement, de position. C’est par exemple le cas de Pierre, qui s’est jusqu’ici toujours montré très fermement opposé à la mise en place d’un permanent, au nom d’un principe de démocratie. Il indique dans son intervention lors de ce tour de table que si, « d’un point de vue théorique », il reste opposé au principe du permanent, « vu l’état du syndicat », il faut savoir faire preuve de « pragmatisme » et il est souhaitable d’avoir un permanent chargé du développement du syndicat. La situation de « crise » dans laquelle Pierre considère que le syndicat se trouve, crise qui se manifeste notamment par des retraits chez les militants et par un tarissement des adhésions, engage une mise entre parenthèses de l’exigence de démocratie. Selon les situations, les exigences qui pèsent sur le fonctionnement syndical et plus précisément l’équilibre entre elles peut donc varier et conduire à des transformations organisationnelles pour faire face à la situation. L’argument de la crise est mobilisé par d’autres militants au cours de ce tour de table et toujours pour justifier une rupture avec une position de principe contre les permanents détachés à plein temps.

Le cas de Paul est celui d’un basculement d’une position favorable à la suppression de la règle fédérale des douze ans à une position favorable à son maintien. Là encore, le changement de position est lié à son expérience personnelle de permanent syndical. Dans l’extrait suivant, il explique que si, au moment du congrès fédéral extraordinaire de 2001, il était pour l’abolition de la règle des douze ans et donc favorable au maintien des fondateurs comme permanents fédéraux, il est aujourd’hui contre et donc satisfait par la décision de maintien de la règle prise par ce congrès.

Il explique l’évolution de sa position à partir de son expérience personnelle de permanent et évoque l’usure du permanent, qui, au fil du temps devient moins efficace (les « boulettes »). Il n’y a pas dans ce cas recomposition des exigences. Le principe mobilisé pour évaluer les règles de limitation reste le principe d’efficacité. C’est le résultat de l’évaluation qui change, sous l’effet de l’expérience.

Les observations recueillies indiquent que les évolutions tendent plutôt à se produire d’une position de défense des règles à une position d’acceptation de leur suppression. On peut penser que ces évolutions sont spécifiques au syndicat étudié et liées aux difficultés de fonctionnement qu’il connaît, à la faiblesse des effectifs militants et aux nombreux départs intervenus en peu de temps, provoquant une déstabilisation importante du fonctionnement collectif. Cette situation de crise donne prise aux développements d’une argumentation en termes d’efficacité et légitime, en tout cas pour certains, la mise entre parenthèse de l’exigence de démocratie et de partage des responsabilités.