Introduction

L’éthique professionnelle, lorsqu’elle est appliquée au journalisme, demeure une quête patinée par l’ambition des acteurs médiatiques de concourir, au nom de la démocratie et dans une visée juste et bonne, à l’animation de l’espace public. Dire cela, c’est réinvestir, dans un débat de longue date, l’utopie des grands desseins de la communication. C’est aussi croire qu’au-delà de la diversité du métier de journaliste et de son rapport fragile avec le public, émergent des espaces de dialogue et de consensus qui maintiennent notre société dans une construction ‘« modeste et exigeante des conditions d’un vivre ensemble »’ 1 . Si cette conviction a de tout temps été mise à mal par l’usage idéologique de l’information et de la communication, ce fut sans compter sur la défense d’une éthique de la profession. Il existe donc un équilibre qui fait accéder au réel la liberté de la presse et d’expression et qui confère au métier d’informer une éminente responsabilité 2 . Outre le fait de ne pas être appréhendée en des termes sinon consensuels du moins repérables par l’ensemble de la communauté journalistique, cette responsabilité pâtit d’un certain nombre de phénomènes que chercheurs et intellectuels ont mis en avant depuis une vingtaine d’années.

Notre propos n’est pas de reprendre l’analyse, forcément incomplète eu égard à l’hétérogénéité des pratiques, des environnements dans lesquels évolue la profession de journaliste, mais au contraire d’observer et de dégager les manifestations discursives de l’éthique professionnelle des journalistes afin d’en extraire certaines formes de rationalité. Ce raisonnement procède d’une double volonté : d’une part, de faire de la réflexion sur l’éthique professionnelle des journalistes une démarche inchoative et non conclusive et, d’autre part, d’éviter le raisonnement praxéologique qui domine très largement la littérature.

Ce travail est consacré aux choix des représentations contemporaines d’une éthique professionnelle des journalistes lesquels apparaissent dans des univers discursifs très variés, aux aspirations souvent divergentes. Ces divergences pointent, en dépit de multiples tentatives, l’incapacité de la profession à objectiver la représentation d’un journalisme digne de ce nom mais aussi la difficulté croissante, pour ses principaux acteurs, de dépasser des conflits de pouvoir. Nous pensons en effet à l’instar d’Oliver Reboul que ‘« le discours éthique devient idéologique dès lors qu’il contient des éléments servant à légitimer un pouvoir’ » 3 c’est-à-dire, dans notre cas, une représentation normative de la pratique professionnelle des journalistes qui ne serait pas partagée ou, pis encore, monopolisée. Ce monopole s’est exercé pendant de nombreuses décennies par le syndicat national des journalistes lequel, à sa création, instaura un code d’honneur du journalisme. Aujourd’hui encore, la charte dite du SNJ fait figure de référence mais doit désormais composer, et ce depuis les années 1990, avec la prolifération des chartes des entreprises médiatiques. La situation croissante de ‘« dépossession’ » des journalistes, qu’évoquait un récent article de la revue Hermès, constitue sans aucun doute l’une des caractéristiques les plus marquantes du processus de moralisation de la profession de journalistes. En effet, Jean-Marie Charon et Arnaud Mercier expliquent que : ‘« Au sein même des entreprises de médias et dans leurs relations avec les divers intervenants au processus de création de l’information, le plus notable n’est pas l’emprise des journalistes mais au contraire leur situation croissante de dépossession, face à la prégnance des logiques de communication et des logiques économiques’  » et de s’interroger globalement ‘« les journalistes ont-ils encore du pouvoir ?’ » 4 .

Le verrouillage du champ d’application d’une éthique professionnelle, par la direction des entreprises d’information, réduit à portion congrue l’initiative journalistique et son supposé pouvoir d’influence. L’éthique professionnelle des journalistes, façonnée depuis plusieurs siècles par ceux qui ont fait du métier d’informer une vocation, nous servira d’ouverture pour envisager l’intention éthique, sans cesse manifestée par les entreprises de médias, comme un nouveau mode de pouvoir qui contrôle autant qu’il conditionne la manière d’être du journaliste contemporain.

Notes
1.

Nous empruntons l’expression à Jean Caune dans son ouvrage Pour une éthique de la médiation, PUG, 1999, p16.

2.

Comme le disait François Mitterrand, à l’occasion de l’ouverture du 12e congrès national de la presse française, tenu le jeudi 10 octobre 1991 à Montpellier : « Libres, vous l’êtes. Est-il plus grave responsabilité ? C’est ainsi qu’avancera le monde des hommes vers l’épanouissement de l’esprit. Est-il une autre mission pour vous que celle-là : apprendre à maîtriser sa propre pensée pour que celle des autres atteigne un degré de réflexion et de maîtrise qui feront dire aussi aux générations futures que cette fin de XXe siècle a représenté en fin de compte un progrès pour l’homme des temps présents ».

3.

Reboul O., Langage et idéologie, Paris, PUF, 1980, p 208.

4.

Charon J.M et Mercier A., « Pour en finir avec le pouvoir des journalistes », in Hermès, n°35, CNRS éditions, 2003, p 24.