5) Description du fonds de Syndicats et Associations de journalistes de l’IMEC

En 1880, Edgar Monteil a lancé, dans les rédactions, des feuilles démocratiques dans lesquelles il exprime son projet vaste et encore imprécis d’une association des journalistes républicains. Il trouve un certain nombre d’appuis parmi lesquels ceux du Rappel, du Voltaire, de La Lanterne, du Citoyen, de La France, de L’Indépendant, du Temps, du National ou encore de la République française. Deux feuilles, lancées en 1880, seront déterminantes pour le lancement du projet : La Justice de Clemenceau et L’Intransigeant d’Henri Rochefort. Parmi les premières adhésions parviennent celles d’Edmond Texier, Victor Poupin, Eugène Reinach et Edmond Lockroy. Plusieurs réunions ont lieu au cours desquelles les journalistes discutent, puis rédigent les statuts de ce qui va devenir l’Association syndicale et professionnelle des journalistes républicains. L’ensemble est entériné au cours de la première assemblée générale, convoquée le 9 avril 1881, au Café hollandais. Cette association est conçue d’emblée comme une société de secours mutuel qui assurait pensions, secours ou retraites à ses membres et à leurs familles. Elle est alors financée par les cotisations, des dons, des fêtes et des loteries 59 .

Deux ans auparavant, le 18 mai 1879, s’était créé l’Association de la presse républicaine départementale. Elle se définissait comme une association de propriétaires, de directeurs, de rédacteurs en chef et de rédacteurs attitrés des journaux républicains de province. Son but, fixé par l’article 2 de ses statuts, était de ‘« créer un lien professionnel entre les membres de la presse républicaine départementale et d’augmenter l’autorité, l’influence et la dignité de la corporation »’. En 1882, elle devint le syndicat de la presse républicaine départementale et prit à son tour la défense des intérêts matériels et moraux de la profession.

Notre première partie s’est enrichi, outre des lectures et de l’analyse des procès verbaux des assemblées des différentes associations de journalistes, des réflexions de différents chercheurs que nous avons sollicités par courrier. Nous avons dressé le constat, après de nombreuses lectures empruntées au domaine de la sociologie et de l’Histoire, que la critique adressée aux journalistes, quelle qu’en soit la teneur et sa source, portait très souvent sur leur éthique, c’est-à-dire sur les modes d’existence du journalisme selon les catégories du bien (faire) et du mal (faire). Forts de ce constat, dont il s’agissait de vérifier l’hypothèse, nous avons consulté des dix-huitièmistes et des historiens de la presse dont l’essentiel des travaux portait sur la période du XVIIIème siècle. Ainsi ce sont Henri Duranton, Jean Sgard, Pierre Rétat et Gilles Feyel qui ont eu la bienveillance et la gentillesse de prêter attention à cette hypothèse. Ces correspondances aussi pertinentes qu’enrichissantes ont parfois éclairé d’un jour nouveau notre réflexion qui, indéniablement, s’en sort grandie.

D’autres chercheurs ont aussi éclairé notre travail de leur connaissance de l’histoire et du milieu journalistique. A titre consultatif, nous avons rencontré Michaël Palmer, Claude-Jean Bertrand, Jean-Marie Charon et correspondu avec Cyril Lemieux et Christian Delporte.

Il est apparu, à l’issue de ces rencontres, que si notre sujet s’avérait pertinent, son principal objet, l’éthique, suscitait manifestement de nombreuses réserves. Le malaise provoqué par la notion d’éthique tient sans doute au fait qu’il s’agit d’un objet délicat à manipuler tout autant qu’à greffer à une interrogation scientifique. A la croisée de plusieurs disciplines aussi diverses que la philosophie, la double sociologie de l’éthique et des groupes professionnels, l’anthropologie, l’ethnométhodologie, les sciences cognitives ou encore l’Histoire, l’éthique semble encore, en France, un objet scientifique non identifié par les sciences de l’Information et de la Communication. Or, dès lors qu’elle est saisie comme puissance de questionnement des pratiques médiatiques, elle devient un objet d’analyse sans égal qui pousse l’interrogation aux confins de notions aussi importantes que l’identité, la médiation ou les représentations en jeu dans une profession. Repérer l’existence d’un débat éthique et les catégories qu’il revêt s’agissant de la profession de journalistes, c’est s’enquérir de la réflexion de Durkheim : ‘« Ce qui définit l’éthique ce n’est pas un texte ou un code, mais d’abord le fait que, lorsque certains actes sont commis, le sociologue peut observer un sentiment de réprobation qui, s’il n’empêche pas nécessairement la reproduction de l’acte, le marque comme non-éthique »’ 60 . Nous n’avons pas pour ambition de nous substituer au regard du sociologue qui, en matière d’éthique, a largement devancé la réflexion mais de saisir la notion comme un point de vue et, le temps d’une lecture historique et contemporaine à la fois, s’en approprier la performance dans le cadre des sciences de l’Information et de la Communication. Rappelons, avec Jean-Paul Terrenoire, que ‘« l’essentiel est de rompre le silence de la théorie dans le domaine de l’éthique professionnelle en raison de l’importance des enjeux, qu’ils soient scientifiques ou sociaux »’ 61 .

Notes
59.

Présentation du fonds par l’IMEC.

60.

Cité par Bourdon J., op. cit., p 89.

61.

Terrenoire J.P., « Sociologie de l’éthique professionnelle. Contributions à la réflexion théorique », in Sociétés contemporaines, n°7, septembre 1991, p 30.

La sociologie de l’éthique professionnelle est née d’une convergence entre la réflexion conduite par la sociologie des professions et celle du travail, d’abord autour de la morale puis de l’éthique. Elle vise, en reprenant les questions théoriques établies par Durkheim, Weber et Parsons et en partant des connaissances tirées d’études empiriques et d’observations récentes, à comprendre puis définir la relation qui s’établit, dans la vie professionnelle, entre éthique et organisation, éthique et autres registres normatifs, éthique et rationalité, éthique et rapports sociaux. Cette discipline, largement représentée par les travaux, en France, de Jean-Paul Terrenoire, subsume les apports théoriques de nombreuses études empiriques consacrées aux professions, auxquelles il est reproché l’absence de « portée générale ».