I) La difficulté de penser l’éthique de l’information

Faire place à une réflexion sur l’éthique, dans cette première partie, procède de la volonté de délimiter et de définir cet objet éminemment complexe. Si, comme l’écrivait Daniel Bougnoux en pastichant Protagoras, ‘« l’information est la mesure de toutes choses’ » 65 , l’éthique qui lui serait appliquée participerait alors à établir ses règles du jeu et celles de ses acteurs, au premier rang desquels, les journalistes. S’agissant des médias, deux niveaux de raisonnement dont nous ne pourrons faire l’économie, s’imposent à nous : le premier s’attache à l’éthique appliquée à l’information et le second à l’éthique des journalistes qui, selon Daniel Cornu, ‘« constitue l’aspect le plus directement observable de l’éthique de l’information »’ 66 . Ces deux champs d’application de l’éthique, l’information et le journalisme, même s’ils sont interdépendants, possèdent une dynamique propre que les auteurs retenus saisissent bien souvent sans distinctions. Prise en étau entre des conflits d’intérêts et l’éparpillement des réflexions qu’elles suscitent, l’éthique appliquée à l’information fait l’objet d’interrogations plus souvent polémiques que réflexives, parfois anecdotiques mais toujours recommencées. Dans le cadre des sciences de l’information et de la communication, contrairement à la sociologie, la difficulté de penser l’éthique tient en premier lieu à l’impossibilité d’y greffer des concepts forts. Une vision combinatoire entre le concept d’information et d’éthique permettrait, sans doute, d’y voir plus clair mais comme l’explique Daniel Cornu, il semble que ‘« la matière information soit trop inconsistante, trop volatile, trop futile’  » 67 .

Un état des lieux de la littérature sur la question nous a conduit à questionner le ou les contexte(s) dans le(s)quel(s) les auteurs font émerger la notion d’éthique de l’information : Crise de l’information, crise du journalisme ou encore crise des médias. Cette question trouve sa justification dans les discours introductifs à la notion d’éthique appliquée à l’information, aux journalistes ou aux médias dont l’ancrage dans une crise de l’espace médiatique paraît certes systématique, mais pose, sur le plan théorique, une confusion entre les divers niveaux d’analyse. Ces éthiques qualifiées, rapportées au même espace, parlent-elles le même langage ? Pour mener à bien cette réflexion nous nous sommes appuyés sur l’ouvrage de Daniel Cornu intitulé, justement, ‘« L’éthique de l’information ’». L’auteur y privilégie ‘« l’activité des journalistes, le rôle des médias et leurs relations à leur public dans les démocraties occidentales d’Europe et d’Amérique du Nord’» 68 . L’intérêt d’y puiser une grille de lecture réside dans le découpage opéré par l’auteur entre les trois niveaux d’analyse de l’éthique appliquée à l’information :

  • Descriptif : qui consiste à observer et à décrire les pratiques de l’information mais aussi les valeurs auxquelles se réfèrent les pratiques professionnelles (analyse sociographique et historique des règles morales)
  • Normatif : qui énonce des devoirs et des droits. Elle correspond, dans le champ d’application particulier du journalisme, aux codes de déontologie.
  • Réflexif (méta éthique) qui pose la question de la légitimité des pratiques et des normes.
  • A ces trois niveaux, il convient d’ajouter une dimension stratégique de l’éthique, celle qui ‘« vise à rassurer le public et à dissuader le pouvoir politique d’intervenir’ » 69

Avant de nous enquérir de ces trois niveaux d’analyse, nous nous attarderons sur les définitions de l’éthique appliquée à l’information.

Notes
65.

Bougnoux D., « Crise de l’information. Problèmes économiques et sociaux », in La Documentation française, dossiers d’actualité mondiale, n°737, 21 octobre 1994, p 3.

66.

Cornu D., L’éthique de l’information, PUF, 1997, p 10.

67.

Cornu D., Journalisme et vérité. Pour une éthique de l’information, Genève, Labor Fides, 1994, p 19.

68.

Cornu, op.cit., 1997, p 9.

69.

Cornu, op.cit., 1997, p 7.