2) L’éthique appliquée : médias, journalisme et information des termes interchangeables

Il apparaît déjà une confusion certaine quant à la définition de l’éthique de l’information qui se meut sous la plume des auteurs tantôt en discipline, tantôt en méthode. Si l’on observe les quelques définitions délivrées dans les usuels, le constat reste identique. Le dictionnaire encyclopédique de l’information et de la communication ne référence pas le terme ‘« éthique’ » mais celui de déontologie. Jean Meyriat, auteur de la définition, précise que ‘« le mot déontologie a été employé pour la première fois au début du XIXème siècle par Jeremy Bentham pour désigner la science des devoirs. C’est au XXe siècle qu’il s’est spécialisé dans son sens actuel d’éthique appliquée à la pratique d’une profession ’» 78 . Cette dernière remarque nous paraît intéressante car elle explique en partie l’utilisation indifférenciée des termes d’éthique et de déontologie. En effet, au fil de notre recherche, nous avons été acculés à soustraire à la notion d’éthique de l’information celle de la déontologie de l’information. Retenons pour exemple, l’étude comparative des règles de morale pratique dans les métiers de l’information à travers le monde, réalisée sous l’égide de l’UNESCO et intitulée : ‘« La déontologie de l’information’ » 79 . Rappelons que la déontologie désigne les règles de mise en œuvre de l’éthique, c’est-à-dire l’ensemble des devoirs assurant la régulation d’une pratique. Le dictionnaire d’éthique et de philosophie morale marque sa différence en optant pour l’éthique des médias. C’est le philosophe belge, Boris Libois, qui signe l’article. Il place au sommet de la hiérarchie, l’éthique des médias pour recentrer plus loin sa réflexion sur l’éthique de l’information. Selon lui, le champ historique et sociologique de l’éthique de l’information est structuré par quatre grandes doctrines : autoritaire, libertarienne, libérale et de la responsabilité sociale des médias. Il propose ‘« une approche transcendantale des médias’  » qu’il résume ainsi : ‘« Quel statut philosophique attribuer aux médias afin qu’ils satisfassent à nos intuitions démocratiques premières et qu’ils assurent aux individus et aux groupes une communication politique dépourvue de toute domination structurelle ?’ » 80 . Boris Libois se veut toutefois plus précis lorsque, dans son ouvrage intitulé ‘« Éthique de l’information. Essai sur la déontologie journalistique ’», il souligne que : ‘« le statut philosophique du journalisme, les principes qui déterminent la spécificité, la légitimité et les limites de cette profession connaissent une évolution qui, dépassant la stricte – et déclarée comme telle – éthique déontologique, glissent partiellement et explicitement vers une éthique téléologique’  »  81 . C’est l’utilitarisme déontologique des pratiques journalistiques qui est ici clairement dénoncé.

Le petit dictionnaire d’éthique retient l’expression d’éthique de l’information. Sa définition nous entraîne sur le sentier des généralités, éclairantes à bien des égards. L’éthique de l’information est présentée comme un outil qui s’ajusterait aux abus et dérives des systèmes médiatique, politique et économique. Elle est définie d’abord comme ‘« une réflexion sur les abus commis par les régimes de dictature, puis s’est occupée des conditions de réalisation de l’idéal de liberté de la presse (…) par la suite, en réaction au libéralisme extrême en matière d’information, elle s’est inquiétée de la responsabilité des moyens d’informations et des journalistes, soulignant une déontologie en matière d’information. Plus récemment on a ressenti la nécessité d’élaborer une éthique de l’information qui aborderait non plus des problèmes particuliers de l’information, mais la totalité du processus »’ 82 . L’auteur souligne l’importance du contexte économique (libéralisme), politique (dictature) et social (la responsabilité des moyens d’information) dans lequel évolue l’éthique de l’information. Benoît Grevisse, membre de l’Observatoire du récit médiatique (ORM), apporte une définition beaucoup plus claire puisqu’il distingue, dans le champ journalistique, ‘« le droit, corps de normes contraignantes appliquées de l’extérieur de la profession et sans son accord nécessaire, de la déontologie, corps de normes codifiées par la profession elle-même, et que le raisonnement éthique légitimerait et compléterait ’». Il ajoute d’emblée ‘« l’éthique, selon l’acception la plus classique, désigne la zone de réflexion personnelle de recherche du bien professionnel, là où l’énoncé de la règle déontologique ne suffit pas à apporter une réponse satisfaisante’  » 83 . On ressent là, la volonté de l’auteur de clarifier et de distinguer non seulement les notions qui serviront de supports d’analyse mais aussi leur champ d’application, le journalisme.

Notes
78.

Meyriat J., « Déontologie », in Dictionnaire encyclopédique de l’information et de la documentation, Paris, Nathan, 1997, p174.

79.

Lire à ce propos « Les enquêtes existantes », paragraphe II du chapitre VII de notre thèse.

80.

Libois B., « éthique et médias », in Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, sous la direction de Monique Canto-Sperber, Paris, PUF, 1996, p 943.

81.

Libois B., é thique de l’information. Essai sur la déontologie journalistique, Bruxelles, éditions de l’Université de Bruxelles, 1994, p 113.

82.

Höffe O., Petit dictionnaire d’éthique, Fribourg, éditions universitaires, 1993, p 123.

83.

Grevisse B., « Légitimité, éthique et déontologie », in Hermès, n°35, CNRS éditions, 2003, p 223.