3) Un champ d’application à géométrie variable

A l’aune de ces quelques définitions, loin d’être un panel exhaustif, on comprend la difficulté d’application d’une éthique en matière d’information, tant est complexe le système de référence auquel elle renvoie. L’équivoque entretenue par la littérature abondante en matière de philosophie des médias, entendue dans une acception critique, ne facilite guère la délimitation non seulement d’une définition mais aussi d’un champ d’application de l’éthique de l’information. En effet la critique ne vaut que si elle permet, comme le préconise Boris Libois, de fixer un cadre organisationnel pertinent, c’est-à-dire d’établir un champ d’application. Ce qu’a fait, par ailleurs, Daniel Cornu qui souligne ‘« qu’une éthique de l’information ne se résume pas à l’action de ses agents les plus visibles : les journalistes, les photographes de presse, les réalisateurs et opérateurs de télévision. Elle concerne tout autant, à travers l’action de leurs dirigeants, les médias comme organisations »’ 84 . Donc il semblerait que l’éthique appliquée à l’information, jusqu’alors objet non identifié, abrite des pratiques professionnelles très hétérogènes et les structures dans lesquelles elles s’exercent. Pourtant, nous serions tentés d’affirmer que l’éthique de l’information n’est pas l’éthique des médias. Elle s’en distingue par son champ d’application, l’un structurel, l’autre conceptuel.

Pierre Bourdieu souligne l’intérêt de distinguer ‘« selon le vieux précepte stoïcien, ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, c’est-à-dire de distribuer les responsabilités’ » 85 . Certains auteurs font fi de ces considérations, postulant que l’exercice de la profession de journaliste comme élément du système médiatique est soumis à diverses normes qu’il convient avant tout d’analyser et non de redessiner. C’est le cas d’Emmanuel Derieux qui intervient dans le dictionnaire critique de la communication, sur ce qui existe déjà en la matière. Il aborde dans les grandes lignes les questions d’ordre moral, telles que les limites apportées à la liberté d’expression des journalistes, le secret professionnel ou encore la protection de la source d’information. La notion d’éthique, diluée dans les spécificités du statut de journaliste examinées par l’auteur, se voit relayée au second plan : ‘» un journaliste devrait sans doute aussi dans l’exercice de sa profession respecter, au-delà ou en marge des obligations légales ou se substituant à elles, certaine règle d’éthique ou de déontologie professionnelle »’ 86 . Cela dit, c’est clairement la responsabilité des journalistes qui est ici mise en cause et non celle des médias.

La définition de l’éthique de l’information ne trouve aucun consensus dans la littérature et ne fait l’objet d’aucune sédimentation dans les discours qui la soutiennent. La notion renvoie à la dynamique –les occurrences de marqueurs temporels tels que ‘« contemporaine, moderne, aujourd’hui, notre temps »’, qui qualifient le contexte d’émergence de l’éthique, sont nombreuses - d’un contexte médiatique traversé par des crises et suspend de fait la réflexion au seul constat, certes légitime mais figé, des responsabilités partagées entre les journalistes et les médias. L’attitude des auteurs consiste, de manière générale, à élaborer des répertoires argumentaires qui embrassent le factuel et produisent in fine une lecture à court terme d’une éthique rapportée à l’information ou aux journalistes. Démêler l’écheveau du champ d’application de l’éthique permettrait de cristalliser sa définition et de créer les conditions d’une véritable recherche en la matière. S’il s’agit de fonder en raison l’éthique de l’information nous pourrions envisager de transférer la problématique de la thèse de doctorat de Jean-Louis Santoro, qui pose la question suivante : ‘« Comment une logique institutionnelle et une logique professionnelle ont-elles réussi à engendrer un ordre juridique de l’information’  ? » 87 et légitimement nous interroger sur la logique, institutionnelle et/ou professionnelle, qui permettrait d’engendrer un ordre éthique de l’information ?

Notes
84.

Cornu D., op. cit., 1997, p 8.

85.

Bourdieu P., « Journalisme et éthique », in Cahiers du journalisme, n°1, publication du centre de recherche de l’ESJ Lille, p 11.

86.

Derieux E., « Les conditions morales de la pratique journalistique », in Dictionnaire critique de la communication, sous la direction de Lucien Sfez, Paris, PUF, tome 2, 1988, p 1023.

87.

Santoro J.L., La liberté de l’information : logiques institutionnelles et logiques professionnelles au plan international (1947-1972), thèse de doctorat, Bordeaux III, 1991, p 12.