Conclusion : l’absence de cohérence du débat

Hormis quelques ouvrages dont ceux de Daniel Cornu, de François-Xavier Alix, d’Henri Pigeat ou encore de Boris Libois et les numéros de Médiaspouvoirs qui traitent spécifiquement de la question de l’éthique et de la déontologie de l’information ou des journalistes, le lecteur devra puiser ci et là pour s’enquérir des réflexions, certes nombreuses, mais trop souvent anecdotiques. En effet, l’éthique de l’information subit la contrainte d’une analyse essentiellement descriptive, d’une lecture instrumentale, à géométrie variable. Le fonds bibliographique qui a été examiné témoigne d’une saisie ‘« tous azimuts’ » de la notion de l’éthique de l’information ou des journalistes et d’une approche scientifique ou du moins philosophique qui met en cause quelques évidences et certitudes s’appuyant sur une critique malgré tout assez élaborée. L’interrogation du point de vue de la double analyse logique et épistémologique de l’éthique appliquée à l’information et au système médiatique n’est guère pointée dans la littérature. Ce principe d’inadaptation de l’éthique de l’information se traduit dans une littérature dominée par une absence de cohérence et inspirée souvent par un phénomène de mode : crise du journalisme, une chance pour l’éthique. Dès lors l’éthique de l’information s’insère dans un dessein à visée pragmatique et technique, bien davantage que dans un système réfléchi des valeurs (approche réflexive).

Cela dit, il semble évident que cet éparpillement des approches reflète un certain nombre de réalités liées à l’espace journalistique. Nous distinguons quatre caractéristiques du champ journalistique qui seraient susceptibles d’expliquer l’absence de cohérence du débat éthique. En premier lieu, l’hétéronomie du champ ainsi que la très grande hétérogénéité des pratiques journalistiques 131 rend impossible la constitution d’une problématique éthique appliquée au journalisme. Cette problématique devient inéluctablement plurielle et son champ d’application relativement flou. Ce qui vient, perturber le débat, en second lieu, c’est la scission de la communauté journalistique : soit-elle manifeste une très grande indifférence, soit, lorsqu’elle se préoccupe de ces questions, c’est pour exprimer la volonté d’une autorégulation qui exclut de fait toute intervention extérieure. Enfin, ce sont bien souvent des conflits d’intérêts entre les acteurs du système médiatique – ceux issus principalement d’une conception différente du rôle et de la nature de l’information - qui ruinent non pas le débat mais la concertation entre les parties.

L’impossibilité d’opérer une lecture cohérente de l’éthique professionnelle des journalistes tient principalement à ces quatre caractéristiques qui révèlent, toutes, une crise indéniable du modèle professionnel. Le témoignage de la littérature sur l’état de la réflexion éthicienne rapportée à l’information et aux pratiques journalistiques, ouvre toutefois deux perspectives d’analyse : d’une part celle d’une typologie des répertoires argumentaires des différentes disciplines, articulée autour de la notion d’éthique de l’information et, de l’autre, (suscité par certains de nos auteurs) de l’appropriation de l’éthique de l’information ou des journalistes par les organisations syndicales, comme rhétorique qui induit des visions du monde social et politique, par lesquelles elles entendent être reconnues.

Notes
131.

Jean-Marie Charon parle « d’éclatement de la profession », entretien du 18 janvier 2002, Maison des Sciences de l’Homme, Paris.