Chapitre II : Histoire, sociologie et anthropologie du journalisme : la convergence vers le questionnement éthique

Introduction

Deux auteurs, d’obédience scientifique différente, ont récemment marqué le débat sur la construction et la professionnalisation du journalisme. En effet, Christian Delporte et Denis Ruellan ont porté une attention tout à fait particulière à ce processus sans pour autant négliger la question de l’éthique professionnelle des journalistes. Un troisième auteur, Cyril Lemieux, a aussi très largement crédité la place de l’éthique professionnelle en approchant, de l’intérieur, la profession de journalistes dans ses pratiques quotidiennes. Le sociologue, qui avait déjà consacré une réflexion dans un article au titre révélateur ‘« Les journalistes, une morale d’exception ?’ » 132 , revient à la charge, cette fois-ci à l’appui de plusieurs années d’enquête sociologique dans différentes entreprises de presse.

Ces trois auteurs aux travaux relativement récents -Ruellan 1997 ; Delporte 1999 ; Lemieux 2000 – opèrent par trois approches distinctes : le premier, Denis Ruellan, a inscrit sa réflexion dans une perspective anthropologique. Le second, Christian Delporte, opte pour la posture d’observation historique. Enfin, Cyril Lemieux a fait le choix d’une ‘« sociologie compréhensive’ » du travail journalistique et de ses critiques, accompagnée préalablement, d’une approche historique. Tous trois consacrent une réflexion élaborée de la place de la morale et de l’éthique professionnelle inscrite, soit dans le processus de professionnalisation, soit dans celui de la pratique journalistique. Nous débuterons notre analyse par les travaux de Cyril Lemieux dont la particularité, outre l’originalité de l’approche ‘« grammaticale’ » 133 réside dans la volonté explicite de l’auteur de ‘« repérer et d’encourager la mise en place des nouveaux moyens de régulation dont manquent les formes contemporaines du journalisme pour devenir plus acceptables aussi bien aux yeux du public qu’aux yeux des journalistes eux-mêmes »’ 134 . Notre réflexion s’achèvera par la présentation des perspectives anthropologiques et historiques du processus de professionnalisation du journalisme et nous permettra d’amorcer notre propre analyse, certes inspirée par ces perspectives, mais s’en démarquant par l’observation exclusive de la construction d’une représentation normative de la profession de journaliste.

Notes
132.

Lemieux C., « Les journalistes, une morale d’exception ? », in Politix, n°19, 1992, pp. 7-30.

133.

Cyril Lemieux définit la grammaire comme « l’ensemble des règles à suivre pour agir d’une façon suffisamment correcte aux yeux des partenaires de l’action » et explique que « Grammaire est à rapprocher, dans l’éventail des notions proposées par Boltanski et Thévenot, non pas à l’idée de cité mais plutôt de celle de régime d’action ». Mauvaise Presse. Une sociologie compréhensive du travail journalistique, Paris, Métailié, 2000, respectivement p110 et notes de bas de page, p 13.

134.

Lemieux C., op.cit., 2000, p 69.