Chapitre III : Approche historique du processus de moralisation de la profession de journalistes

Introduction : catégorisation du débat éthique

‘« Tout acte de naissance établit une filiation. Il existe un chemin d’accès aux origines, qui permet de retrouver les aïeux fondateurs et de recueillir leurs legs précieux. Plonger dans les profondeurs de l’Histoire, c’est aller retrouver dans le bas social les reliques enfouies du legs des pères’ » explique Anne-Marie Thiesse 207 . Nous tâcherons de repérer, dès la période du XVIIème siècle, l’existence d’un débat éthique (quelles sont les catégories qu’il revêt ?) en nous appuyant sur la réflexion durkheimienne, déjà citée plus haut 208 . Nous postulons que des règles « implicites » sont en jeu, puisqu'on en dénonce sans cesse les transgressions et que celles-ci, autre hypothèse, mettent le plus souvent en jeu des problèmes de frontières. Nous essayerons de catégoriser les interventions au débat portant sur l’éthique de la profession sous trois rubriques :

  • Dénonciation externe : la plus ancienne, la dénonciation externe émanait des gens de lettres (écrivains, philosophes, hommes de sciences et politiques de l’époque). Cette première catégorie s’insère dans un contexte politique et sociologique particulier qu’il s’agira d’analyser
  • Dénonciation interne : elle est intervenue avec le développement de la presse et l’institutionnalisation progressive de la profession. Nous pourrons distinguer deux approches : téléologique et déontologique. Pour ne pas tomber dans des représentations stéréotypées du débat autour de l’éthique, nous consacrerons une large étude aux Associations de journalistes en nous référant, pour l’occasion, à l’analyse dressée par Marc Martin : ‘« Le ralliement a été avant tout un phénomène politique, mais qui a été préparé dans la presse par un large mouvement de sociabilité au cours des années 80. Ce mouvement de sociabilité n’était pas qu’un reflet ou un effet d’un début d’évolution politique. Indépendamment des raisons sociologiques, de ce déracinement déjà évoqué, qui l’ont stimulé, il a des causes proprement professionnelles, plus précisément de déontologie professionnelle ’» ecrit-il 209 .
  • Codification : cette dernière catégorie permet de dépasser la simple dénonciation et de synthétiser les codifications ou les préconisations dressées, notamment les nombreux projets qui ont pointé à l’issue de la seconde guerre mondiale. Elle nous permettra d’esquisser différents cadres dans lesquels la profession aurait puisé ses ‘« nouvelles’ » références 210 .
Notes
207.

Thiesse A.M., La création des identités nationales. Europe XVIIIe-XXe siècle., Paris, Seuil, 1999, p 21.

208.

Durkheim E. cité par Bourdon J. : «Ce qui définit l’éthique ce n’est pas un texte ou un code, mais d’abord le fait que lorsque certains actes sont commis, le sociologue peut observer un sentiment de réprobation qui, s’il n’empêche pas nécessairement la reproduction de l’acte, le marque comme non-éthique » op.cit., p 89.

209.

Martin M., «La grande Famille : l’association des journalistes parisiens 1885-1939 », in Revue Historique, n°557, janvier-mars 1986, pp. 151-152.

210.

Ces trois catégories ne sont pas étanches et peuvent, sur certaine période, se chevaucher. Cela dit, nous pensons qu’elles sont des catégories pertinentes de l’évolution du processus de moralisation de la profession.