II) La Révolution et la figure de « l’écrivain patriote » comme nouveau modèle journalistique

‘« La révolution venue, l’opposition entre les couches supérieures et les couches inférieures de la littérature allait disparaître. La bohème littéraire se souleva, abattit le « monde » et réquisitionna les postes qui donnaient pouvoir et prestige. Ce fut une révolution culturelle, qui créa une nouvelle élite et lui procura de nouvelles situations. Tandis que Suard, Marmontel et Morellet perdaient leurs revenus, Brissot, Carra, Gorsas, Manule, Mercier, Desmoulins, Prudhomme, Loustalot, et bien d’autres représentants l’ancien prolétariat littéraire menaient une vie nouvelle, ils étaient journalistes et bureaucrates »’ écrit Robert Darnton 251 . Le journaliste devenait un acteur primordial puisque ‘« son nouveau rôle politique – le journaliste était désigné sous le terme « d’écrivain patriote » - n’avait plus rien à voir avec les littérateurs et les philosophes consacrés dans l’ancienne Républiques des lettres’ » explique Jean-Claude Bonnet 252 . Si Les figures de l’honnête homme et de l’homme de vérité sont maintenues, elles sont désormais subordonnées, le contexte de la Révolution aidant, au modèle idéal de ‘« l’écrivain patriote’ » comme en témoigne l’éloge funèbre de Loustalot que dressa Camille Desmoulins : ‘« Aujourd’hui, il fallait à l’écrivain périodique et la véracité de l’historien qui parle à la postérité et l’intrépidité de l’avocat qui attaque les hommes puissants et la sagesse du législateur qui règne sur ses contemporains’ » 253 . Mireille Jacob, dans un article qu’elle consacre à la presse et au pouvoir au début de la Révolution, observe, dans ‘« les feuilles périodiques nouvelles qui paraissaient sans autorisation »’, que la plupart d’entre elles abondent de termes tels que ‘« exactitude’ », ‘« exactement’ », ‘« exact’ », ‘« vérité’ », ‘« vrai’ », ‘« impartial’ », ‘« sincère’ » 254 . Or s’il est vrai qu’il s’agissait sans doute là d’un moyen d’éviter la censure, il n’en demeure pas moins qu’il perpétue la tradition d’un journalisme soucieux de véracité. L’auteure conclut dans notre sens en soulignant que ‘« plus qu’une lutte pour la liberté, les revendications de la presse constituent un refus du despotisme. Son émancipation s’inscrit dans le sens de l’histoire (…) Aucune réglementation, de fait, ne s’avérera possible tant que la presse n’aura pas compris que pour assurer sa sauvegarde, elle devra créer sa propre déontologie. Et cela n’est peut-être pas un héritage moindre de la Révolution »’ 255 .

Notes
251.

Darnton R., op. cit., p 33.

252.

Bonnet J.C., « les rôles du journaliste selon Camille Desmoulins », in Le journalisme d’ancien régime, Rétat P., op. cit., p 180.

253.

Ibid., p 181.

254.

Jacob M., « Presse et pouvoir au début de la Révolution », in Le journalisme d’ancien régime, Rétat P., op. cit., p 261.

255.

Ibid., p 266.