III) L’amorce du processus de professionnalisation

La première réponse à ses critiques a été politique, républicaine même, puisque s’est instauré, en juillet 1881, la loi sur la liberté de presse. Si elle a permis la liberté et l’indépendance progressive de la presse, elle ne garantissait pas la dignité de la profession, comme en témoigne cette remarque extrait du journal officiel de la chambre des députés daté du 28 janvier 1881 : ‘« Parmi les journalistes, il y en a qui sans être de grands journalistes font honneur à leur profession ; mais il y en a d’autres qui remplacent les études, le talent par la violence, par l’éclat et la réclame : que voulez-vous y faire ? (…) La commission a cherché à étudier et finalement s’est aperçue qu’elle ne pouvait rien. Il n’est pas possible de faire quelque chose. Il n’est pas possible de faire la différence entre l’annonce loyale et l’annonce déloyale. Il n’est pas possible de faire la différence entre l’annonce prospectus et l’article qui se couvre de l’apparence de l’article politique’ » 262 . La profession est donc invitée, explicitement, à s’organiser du moins du point de vue de sa dignité professionnelle. Or, en effet, ‘« à l’action émancipatrice des républicains correspond la mission d’éveil des consciences journalistiques’ » explique Christian Delporte 263 . La même année du vote de la loi, en 1881, s’est créé l’Association des journalistes Républicains. Elle témoignait déjà d’un certain ‘« éveil des consciences journalistiques’ » et, la loi promulguée, renforçait la légitimité de sa pratique. Cette association, comme beaucoup après, était destinée à développer la solidarité entre les gens de presse. ‘« Les associations de presse ont assuré avant tout, semble-t-il, la définition de l’identité du journaliste dans une période de grand essor et d’élargissement des rangs de la profession »’ souligne Marc Martin 264 . C’est le moment à partir duquel, dans le long processus de moralisation de la profession, la dénonciation externe, même si elle restait importante, céda peu à peu la place à une dénonciation interne de certaines pratiques journalistiques. En effet, le sentiment de réprobation qu’évoquait Durkheim émanait, cette fois-ci, des journalistes eux-mêmes, manifestement décidés à en découdre avec l’amateurisme comme en témoignait l’article de Jules Claretie à l’occasion de la création de l’Association des journalistes parisiens : ‘« (…) Le journalisme a bien des ennemis. Il en a autant que de solliciteurs, ce qui n’est pas peu dire. Mais ce qui lui nuit surtout ce ne sont pas les journalistes de profession, ce sont les journalistes de rencontre, les journalistes qui ne journalisent pas (...)’ » 265 . Pour preuve encore, l’accès à cette même association n’était pas libre : ‘« il fallait que le journalisme constitue l’occupation habituelle et la principale profession du candidat qui devait avoir été attaché pendant plusieurs années à un ou plusieurs journaux ou revues politiques, économiques, littéraires, scientifiques ou artistiques paraissant à Paris »’ 266 . Outre ces critères professionnels qui amorçaient le processus de professionnalisation, il fallait aussi compter sur des critères d’ordre moral parmi lesquels ‘« les qualités de sociabilité, l’art de savoir se faire estimer ou aimer’ » précise Marc Martin. L’auteur ajoute que ‘« l’Association des journalistes parisiens a été la première à essayer d’imposer des règles de bonne conduite de part et d’autre du clivage politique principal (…) Chaque association était aussi le lieu où se constituait, notamment par référence aux confrères disparus, un code de bons comportements’  » 267 .

Notes
262.

Lemieux C., op. cit., 1992, p14.

263.

Delporte C., op. cit., 1999, p 21.

264.

Martin M., op. cit., 1986, p 132.

265.

Martin M., op. cit., 1997, p 121.

266.

Martin M., op. cit., 1986, p 132.

267.

Martin M., op. cit., 1986, p 152.