1) Les Associations de journalistes et la dignité professionnelle

La consultation des archives de l’IMEC et notamment celles des procès verbaux des associations de journalistes rendent difficilement compte d’un modèle ou d’un idéal journalistique. S’agissant de l’Association syndicale professionnelle des journalistes républicains français, fondée le 9 avril 1881, l’objectif principal est clair et présenté dès le 5 avril 1880, avant la promulgation de la loi sur la liberté de la presse : ‘« Edgar Monteil, conseiller municipal de Paris, faisait imprimer à 10000 exemplaires et envoyait à tous les journaux la circulaire suivante : «(…) Je viens vous proposer de fonder une société républicaine de la presse française(…) Nous sommes isolés et déclassés. Pour être forts, il ne faut, parmi nous, ni intrus, ni faux frères’ » 268 . L’action de la société est déclinée autour de plusieurs points parmi lesquels ‘« Se livrer à la propagande des ouvrages républicains ; Défendre les intérêts des rédacteurs contre les propriétaires de journaux et la dignité des rédacteurs le plus souvent congédiés d’une façon plus brutale qu’un domestique ; établir un tribunal arbitral toujours prêt à s’entremettre dans les conflits, à la demande des parties ’» 269 . La première séance datée du 5 juillet 1880 n’a pas entériné les statuts de l’association mais a proposé, d’une part, de modifier les conditions pour l’admission, et, d’autre part, de ‘« viser uniquement l’association de secours mutuel »’. La séance du 10 juillet 1880 rappelait ‘« qu’il est grand temps d’assurer par une représentation énergique la défense de notre dignité, de nos droits et nos intérêts, si souvent abandonnés par un syndicat sans homogénéité et sans vigueur ’» 270 . En 1881, l’association comptait 85 adhérents, puis 370 en 1882 et plus de 500 en 1883. Les rapports de séances témoignent de la priorité de l’association : ‘« La constante préoccupation de vos syndics, au cours de l’année qui s’achève, a été l’émission de notre loterie’ », loterie qui servait à alimenter les caisses de la société de secours mutuel 271 . Ou encore ‘« Le grand fait, le fait capital, c’est la rentrée régulière des cotisations ’» 272 .

Nous avons trouvé la trace d’un modèle ou d’un idéal journalistique sous la seule rubrique nécrologique des rapports de séance, rubrique intitulée ‘: « Nos morts, hommage aux services rendus à la cause républicaine »’. Nous avons répertorié un hommage à Paul Bert qui fut rédacteur à la République française : ‘«Ce savant dont le nom restera à côté de celui des plus grands physiologistes de ce siècle, était un des nôtres. Il ne se borne pas à écrire dans les journaux pour faire connaître sa pensée quand une occasion plus ou moins pressante l’y invite. Non il fut un journaliste au sens complet du mot. Les feuilletons de la République française c’était encore de la science, et il y conserva jusqu’au bout le ton de la sereine impartialité qui est celui de la science. Là on peut juger de la redoutable précision de son esprit de la claire fermeté de son style, de la hauteur de ses vues, de la sagacité de son observation (…)’  » 273 . Les qualités du journaliste se confondent ici avec celles du savant et nous rapprochent de l’idéal de l’homme qualifié d’abord de ‘« républicain’ » ‘(« un des nôtres’ ») puis ‘« de vérité’ ». Hormis ces quelques considérations quasi anecdotiques, il est difficile, à la lecture des rapports de séances de l’association, de dresser le portrait du journaliste digne de ce nom. Nous avons cherché, à travers les décisions rendues par le tribunal arbitral de l’association des journalistes républicains, auquel sont déférés tous les différends professionnels, à distinguer les éléments d’une dignité professionnelle. Notre quête fut vaine puisque, pour elle, la chose est entendue ainsi : ‘« (…) Plusieurs fois, on a eu recours à notre arbitrage. Des confrères mis en cause dans des polémiques d’une certaine gravité nous ont priés de nous constituer en tribunal d’honneur et de se prononcer entre eux et leurs accusateurs. Après avoir entendu les parties, nous nous sommes déclarés incompétents afin de ne point compromettre la neutralité du syndicat de nos querelles politiques. Autant nous nous sommes résolus à couvrir l’honneur professionnel et privé de nos sociétaires, autant il nous paraîtrait dangereux d’intervenir dans les polémiques entre républicains’ » 274 . L’handicap du parti pris politique se révélait incontournable et augurait déjà des problèmes rencontrés plus tard par cette forme d’association, problèmes que n’a pas manqué de souligner, quelques années plus tard, le SNJ. Deux ans auparavant, le 4 avril 1884, l’idée de la création d’un ‘« Conseil professionnel’ » fut lancée en même temps que celle d’un tribunal arbitral. Si ce dernier a réellement vu le jour, ‘« la constitution d’un conseil professionnel chargé de résoudre les questions de dignité et d’honneur professionnel sur la base d’un accord préalable avec tous les autres syndicats ou associations de la presse’ » 275 a été un échec et n’a d’ailleurs donné lieu qu’à une explication pour le moins laconique ‘« Quant au conseil professionnel, il n’a pu être constitué. Cette question est réservée’  » 276 .

Notes
268.

IMEC, AJ (Association de journalistes), ASPJRF (association syndicale des journalistes républicains), PV, séance du 5 juillet 1880.

269.

IMEC, AJ, ASPJRF, PV, séance du 5 juillet 1880.

270.

IMEC, AJ, ASPJRF, PV, séance du 10 juillet 1880.

271.

IMEC, AJ, ASPJRF, PV, séance du 7 février 1886.

272.

IMEC, AJ, ASPJRF, PV, séance datée de 1890.

273.

IMEC, AJ, ASPJRF, PV, séance du 7 février 1886, rubrique nécrologique « nos morts », hommages rendus à la cause républicaine.

274.

IMEC, AJ, ASPJRF, PV, séance du 7 février 1886.

275.

IMEC, AJ, APRD (association de la presse républicaine départementale), PV, séance du 4 avril 1884.

276.

IMEC, AJ, APRD, PV, séance du mercredi 11 février 1885.