IV) La purification éthique de la profession

1) Retour sur « un Ordre des journalistes »

Si nous reprenons les catégories d’intervention au débat éthique de la profession de journaliste, constitutives de notre architecture d’analyse, la période qui a suivi la seconde guerre mondiale est celle qui a correspondu aux premières tentatives de codification. Après les dénonciations externes et internes, souvent conjuguées, sur les périodes du XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, celle du milieu du XXe augure un nouveau mouvement : la codification. Ce phénomène est naturellement la résultante des dénonciations externes et internes qui furent portée à l’acmé à l’issue de la seconde guerre mondiale. Marc Martin explique que ‘« cette dénonciation a pour beaucoup en 1944 un caractère anticapitaliste, mais elle a aussi un caractère moral’  » 290 . La presse de la collaboration a été vécue comme une trahison : ‘« l’appétit de l’argent et l’indifférence aux choses de la grandeur avaient opéré en même temps pour donner à la France, une presse qui, à de rares exceptions près, n’avaient d’autre but que de grandir la puissance de quelques-uns et d’autre effet que d’avilir la moralité de tous »’, écrit Albert Camus 291 . C’est donc la période dite de l’épuration de la presse, ‘« celle d’une remise à l’ordre global de l’appareil de l’information’ » 292 qui s’amorça au sortir de la seconde guerre mondiale. C’est aussi une période de grande mutation pour le journalisme qui allait connaître lui aussi l’épuration des éléments considérés comme indignes. Alors même que dix ans auparavant, le SNJ criait victoire en titrant son bulletin ‘« L’Ordre des journalistes est créé’ », il s’agissait justement de remettre de l’ordre dans le chaos de la Libération. Purifier la profession consistait moins à la professionnaliser qu’à la moraliser. Or ce fut le combat inachevé, et feint de l’être, du SNJ. Déjà, en 1936, la thèse de François Valentin, traitant du statut du journalisme, pointait les problèmes à venir. L’auteur soulignait en effet que ‘« l’œuvre de demain consistera à garantir le statut moral, la dignité et la discipline intérieure de la profession’ » 293 . Le processus de moralisation que l’on croyait achevé avec l’instauration du statut du journaliste, la distribution de la carte de presse, mais aussi et surtout la charte du journaliste, s’est révélé être d’une étonnante actualité et stimulé par les événements malheureux de la seconde guerre mondiale. S’il suffit pour purifier la presse collaborationniste de mettre sous séquestre ses biens, les mettre à la disposition des journaux autorisés et d’édicter l’ordonnance du 26 août 1944 pour rompre définitivement les liens dénoncés entre la presse et l’argent, pour la profession, la chose est plus difficile, en dépit de l’ordonnance du 30 septembre 1944 294 . L’épuration professionnelle, mise en marche dès l’été 1944, laissera place à une nouvelle population de journalistes, rajeunie et féminisée 295 . C’est sans aucun doute, comme l’affirme Francisque Gay, ancien directeur de L’Aube : ‘« une opportunité unique de ne rien laisser subsister de ce qui, du passé, pourrait gêner la construction d’un nouvel édifice »’ 296 .

Notes
290.

Martin M., op. cit., 1997, p 285.

291.

Camus A., « Critique de la nouvelle presse », in Albert Camus. Essais, Gallimard/Calmann-Lévy, La Pléiade, édition établie et annotée par Quillot R. et Faucon L., 1965, p 263.

292.

Martin M., op. cit., 1997, p 284.

293.

Valentin F. ; « Un essai d’organisation professionnelle par voie législative. Le statut des journalistes », Thèse de droit, Nancy, Berger-Levrault, 1936, p 127.

294.

Cette ordonnance a rendu obligatoire, pour exercer, la possession de la carte de presse.

295.

Dans un article qu’il consacre à cette question, l’historien souligne que « les études dans ce domaine font cruellement défaut », in « L’identité professionnelle des journalistes », op. cit., 1994, p 61.

296.

Delporte C., op. cit., 1999, p 383.