I) De la matérialité discursive à la matérialité idéologique

1) Vers une typologie du discours syndical ?

Avant d’entreprendre notre étude, il nous est apparu pertinent de souligner qu’il s’agit de ‘« discours syndicaux »’ qui ont fait, en tant que tels, l’objet d’un certain nombre de recherches. Nous pensons notamment aux études proposées par le groupe de Saint-Cloud et à celles exposées dans la revue Langages 340 . Ces recherches, qui se sont appuyées sur deux méthodologies, l’une relevant de l’analyse de discours, l’autre de l’analyse lexicale, ont fait émerger des caractéristiques archétypes du discours syndical que nous exposerons sans pour autant adhérer à une ‘« typologie prématurée’ ». En effet, comme le rappelle L. Guespin, ‘« ce qu’il faut catégoriser, c’est ce qui fait qu’un discours fonctionne, et non le jugement qu’on peut porter sur lui’ » 341 . Avant de dresser un bref inventaire des remarques d’ordre général qui se dégagent de ces travaux, nous nous intéresserons aux tendances liées aux différentes formes syndicales. Ces tendances nous permettront de positionner les quatre syndicats actants de journalistes sur l’échiquier des traditions qui les inspirent :

CGT (SNJ-CGT) et CGT-FO (SGJ-FO) Tendance « révolutionnaire »
Vers un syndicalisme de lutte des classes, anticapitaliste
CFDT (USJ-CFDT) et CFTC (SJ-CFTC) Tendance réformiste
Vers un syndicalisme paritaire et contractualiste
SNJ Autonome, réformiste dans le strict champ professionnel

Notons que le SNJ, organisation autonome aux côtés des grandes confédérations représentatives, inscrirait plutôt son action et ses revendications dans la tendance réformiste.

Par ailleurs, nous posons une distinction entre deux formes de syndicalisme : le syndicalisme d’industrie et celui de métier. Dans une approche dialectique chère à Marx, le syndicalisme de métier correspond à ‘« un développement caractérisé non par la spécialité productive du capital, mais par la qualification du travail humain’ » 342 . Cette distinction est intéressante car elle explique le glissement opéré entre des formes de revendication qui n’ont plus lieu d’être et d’autres, nouvelles, qui s’inscrivent en effet dans une phase déterminée de l’évolution des forces productives. Pourtant, Christian Thuderoz qui a étudié les textes de congrès syndicaux sur une longue période, souligne que ‘« le modèle de régulation n’a pas subi de modifications majeures’ » 343 . Et Jean-François Tétu d’expliquer : ‘« il faut entendre ici que les modifications de l’organisation du travail (de l’entreprise taylorienne au management participatif) n’ont pas, sous le point de vue syndical, modifié le fait que l’entreprise est définie comme le lieu où les hommes travaillent au service de capitaux investis et qu’ils ne retirent qu’une part trop limitée de la richesse produite’  » 344 .

Notes
340.

Nous faisons précisément référence à « L’étude du vocabulaire confédéral des centrales ouvrières françaises » conduite par le groupe de Saint-Cloud. Ces travaux théoriques et pratiques sont menés dans les domaines de lexicométrie, de statistique textuelle et de linguistique de corpus. La seconde étude, à laquelle nous faisons référence, a été publiée dans la revue Langages et concerne les niveaux de langues dans les discours patronal et syndical.

341.

Guespin L., « Discours patronal et discours syndical. Une tradition du discours », in Langages n°41, Larousse, 1976, p 9.

342.

Marx K. et Engels F., Le syndicalisme. Théorie, organisation, activité, Paris, Maspero, 1972, p 6.

343.

Thuderoz C., La boîte, le singe, le compagnon., PUL/CNRS éditions, Lyon 1994, cité par Tétu J.F., « Les composantes du discours syndical. Analyse qualitative », rapport de recherche, juin 1998, p.13.

344.

Tétu J.F., op. cit., p13.