b) Configuration discursive des syndicats de journalistes

Si nous reprenons, en les aménageant, les catégories de décomposition du récit applicables à toute organisation discursive, notre première interrogation porte sur l’identité du ‘« héros’ » (terminologie proppienne), en tant que personnage central des discours. De manière insistante, il s’agit de celui que nous avons appelé le ‘« destinataire’ » de la manipulation, c’est-à-dire le journaliste. Il est en effet actant de la narrativité syndicale dans la mesure où il est censé s’y comporter d’une certaine manière et est souvent défini par la même fonction : c’est un sujet opérateur (sujet du faire). Joseph Courtès explique que ‘« l’on concevra les sujets de faire comme de simples agents opérateurs qui ont pour fonction d’exécuter des programmes de transferts d’objets’  » 369 . Le journaliste est donc censé désirer, ce qui est présenté comme désirable par les syndicats de journalistes : ‘« l’indépendance de la profession’ » ; ‘« l’unité professionnelle’ » ; ‘« des conditions de travail dignes »’ ; ou encore ‘« le respect de la liberté d’expression’ ». Cela étant, il est évident que ‘« l’ordre’ » qui est transmis peut faire l’objet d’une acceptation ou d’un refus de la part du sujet. Le rôle des syndicats de journalistes est, ici, de signaler ce que l’on pourrait appeler un manque : manque d’unité professionnelle, d’indépendance, de conditions de travail dignes, de reconnaissance patronale, de moyens d’éviter les fautes professionnelles, etc. Ce manque est souvent présenté comme la résultante de ‘« politiques’ » conduites par le patronat, considéré alors comme anti-sujet. Dès lors, les syndicats (compétence décisionnelle) vont doter les journalistes, en tant que sujets, de modalités qui leur permettront la quête ou la reconquête de l’objet de valeur (compétence exécutive). Pour l’acquérir, les journalistes devront fréquemment, si ce n’est toujours, affronter un anti-sujet au premier rang duquel ‘« le patronat’ », défini par ses méfaits. Par ailleurs, les syndicats de journalistes vont aussi se positionner comme sujet de l’action en signalant aux journalistes leur pouvoir-faire. En d’autres termes, ils soumettent aux journalistes ‘« un contrat’ », c’est-à-dire au sens sémiotique un devoir/vouloir-faire accompagné d’un contenu programmé de ce faire. Bref, les syndicats représentent les figures du destinateur, doublé souvent d’un adjuvant par la précision des armes dont ils munissent les journalistes. Les syndicats de journalistes se posent, en toute logique, comme sujet de l’action puisque, tous prétendent représenter mais surtout défendre les intérêts matériels et moraux de la profession. Cela dit, leur position respective diffère sur la définition de l’objet de valeur à conquérir, sur le type de programme narratif d’usage (de séduction, de responsabilisation, de délégation et de participation) et enfin sur la nature de l’action (lutte : réflexion, négociation, dénonciation, mobilisation). Nous en ferons le constat en analysant chacun des dispositifs mis en œuvre par les syndicats de journalistes.

Nous dégagerons pour chacun des discours, l’environnement discursif qui nimbe l’éthique professionnelle en tant qu’objet de valeur. Cet environnement se compose, outre des éléments qui relèvent de la configuration discursive telle que nous venons de la décrire, d’un certain nombre de thèmes autour desquels s’articulent les stratégies respectives des syndicats de journalistes. Ces thèmes seront répertoriés à l’issue de notre analyse et intégrés dans une réflexion globale sur les dispositions requises de la compétence éthique.

Notes
369.

Ibid., p 98.