3) L’entreprise de presse discréditée

Les références à l’entreprise médiatique, comme lieu de développement des pratiques éthiques, sont rayées de toutes mentions dans le discours du SNJ. L’entreprise de presse y est représentée comme étant à la solde du marché, prise dans une logique de profit et de rentabilité. Le SNJ ne lésine pas sur la question et précise que ‘« dès l’origine, l’entreprise de presse n’a jamais été indépendante du marché : même si théoriquement, son but principal n’est pas le profit, une publication ne peut échapper aux lois de la rentabilité’ » 397 . Évoquant les phénomènes de concentration, l’arbitrage des actionnaires et le poids de la publicité, le SNJ va même jusqu’à écrire que ‘« l’entreprise de presse perd ainsi sa spécificité »’ et de poursuivre dans la même veine ‘« elle se banalise en devenant, lorsqu’un sujet est « sensible », un simple relais des stratégies d’acteurs économiques dont les préoccupations sont étrangères à l’information’ » 398 . Si le SNJ s’en tient au rôle de ‘« dépositaire et de défenseur’ » des principes de la charte de 1918, il propose toutefois, tout en déniant la responsabilité de l’entreprise médiatique, de dresser un cadre d’intervention. Le SNJ paraît prévoir deux niveaux, l’un macro car ‘« c’est désormais à l’échelle européenne que ces questions doivent trouver leur réponse’  » (voir ci-dessus) et l’autre, micro, puisque le SNJ réclame, notamment à travers le Livre Blanc de la déontologie des journalistes, l’intégration de la charte de 1918 dans la convention collective des journalistes. La voie légaliste est certes requise mais le SNJ prend toutes les précautions en précisant que ‘« notre profession ne souhaite en aucune manière que sa déontologie soit remise au « gouvernement des juges’ » 399 . Seule la reconnaissance juridique de la Charte de 1918, dont le SNJ se dit être ‘« le père’ », est envisageable. Quant à l’institution d’une ‘« charte du journaliste européen’ » elle n’est prévue que comme ‘« l’utile complément’ » de La Charte du SNJ 400 . A ces deux cadres, savamment verrouillés, le SNJ ajoute volontiers celui de l’école de journalisme auxquelles il est reconnu ‘« un rôle primordial à jouer dans la compréhension et la diffusion de nos principes professionnels’ » 401 .

Christian Delporte, dans le cadre d’une réflexion sur la période qui a succédé à la création de la charte de 1918, pose une question, aujourd’hui encore d’actualité : ‘« de quels moyens de coercition un syndicat auquel, par définition, nul n’est tenu d’appartenir, peut-il bien disposer ?’ » 402 . S’agissant de notre corpus de discours, nous pouvons répondre sans équivoque que le SNJ utilise une stratégie qui amène le journaliste, certes à une certaine prise de conscience, mais au-delà, à considérer l’action syndicale comme indispensable et légitime notamment au nom de ‘« la tradition’ » qui la lie aux questions d’éthique professionnelle. D’où l’intérêt, pour lui, de ne déléguer qu’aux seuls journalistes la responsabilité de ‘« donner une dimension éthique’ » à la profession et de verrouiller, en dehors de cette délégation, les autres cadres de sa représentation normative. Le SNJ feint parfois ce quasi-monopole en précisant ‘« qu’il a son mot à dire sur le sujet sans prétendre pour autant être le gardien du temple »’ mais c’est pour mieux rappeler, préalablement, que ‘« le SNJ est à l’origine de la charte de 1918… »’ 403 .

Notes
397.

Le Journaliste, n°210, 1989.

398.

Idem.

399.

« Livre Blanc de la déontologie des journalistes », Publication du SNJ, 1993, p. 58

400.

Le Journaliste, n°210, 1989.

401.

Le Journaliste, n°220, 1992.

402.

Delporte C., op. cit., 1999, p.273.

403.

Le Journaliste, n°219, 1991.