4) La disqualification du patronat 

La stratégie du SNJ, quels que soient les rapports qui le lient aux journalistes, se heurte à un refus et à une absence de reconnaissance de la part du milieu patronal dont les politiques constituent un ou les anti-programmes. S’il est clairement établi, dans le discours du SNJ, que le point d’achoppement à l’objectif d’intégrer La Charte du SNJ dans la convention collective des journalistes est le fait d’un refus du patronat, ce dernier est surtout visible, en tant qu’anti-sujet, par les méfaits de ses politiques et du système dont il est tributaire. L’argumentation du SNJ vise à disqualifier le patronat, en tant qu’adversaire social et discursif, en mettant en exergue les objectifs des politiques patronales ‘« plus préoccupées du profit immédiat que d’information’ » 404 . Pour ce faire, le SNJ va opposer deux conceptions, l’une syndicale motivée par des ‘« exigences informationnelles ’», l’autre patronale, motivée par des ‘« exigences économiques’ ». L’ensemble est subsumé dans ce que le SNJ a appelé d’une part le ‘« système industrialo-financier’ » et de l’autre ‘« le système mercantile’ », systèmes dans lesquels le patronat joue le rôle de ‘« relais des stratégies d’acteurs économiques ’», c’est-à-dire de complice. Outre le fait de se rendre complice d’un système dont le SNJ ne cesse ‘« de mesurer les dangers’ », l’action patronale est aussi disqualifiée lorsqu’elle s’applique à édicter des Règles et usages. L’exemple des articles consacrés à la PQR et à sa déontologie est, à cet égard, significatif car elle révèle la volonté syndicale de dénoncer un modèle d’action patronale (sur un cas précis). Le modèle en question est celui émanant du SPQR, puissant syndicat patronal qui rassemble près de 33 titres de la PQR. Les titres respectifs des articles augurent déjà la stratégie discursive du SNJ : ‘« le colloque de la PQR : une déontologie défensive »’(1991) ; ‘« PQR : une déontologie unilatérale’ »(1996). Le SNJ soupçonne le SPQR de ‘« camper sur cette position où la déontologie n’est évoquée et invoquée qu’à usage purement défensif’ » 405 . Le syndicat de journalistes remet en cause la démarche en la qualifiant de ‘« fermée’ » et ‘« sous-tendue par deux a priori’ » : ‘« l’on ne touchera pas à la loi de 1881 et l’on n’introduira rien qui « porte atteinte » à la « responsabilité morale du directeur de publication » »’ ‘ 406 ’ (encadré par le SNJ). Les intentions patronales sont désormais dévoilées et apparaissent, dans le discours du SNJ, comme essentiellement motivées par la volonté ‘« d’éviter les procédures’ » bref de se protéger, de se défendre. Cinq années plus tard, en 1996, lorsque le SPQR publie ‘« les règles et usages de la PQR ’», la stratégie discursive syndicale durcit le ton et passe du soupçon à la dénonciation sans ambages. Le SNJ va s’employer, dès l’introduction, à camper un contexte qui discrédite d’emblée l’action patronale : ‘« Le SPQR a publié ses « règles et usages » de la PQR. Un document communiqué aux syndicats de journalistes 24 heures avant sa présentation publique. Foin du paritarisme : le syndicat patronal délivre sa « vérité » déontologique, le débat proposé in extremis aux journalistes n’étant qu’une formalité. Dont acte’  » 407 . Ce bref passage introductif foisonne d’éléments à charge pour le patronat mais surtout, témoigne sinon de l’exaspération du moins de l’agacement du SNJ. Cela dit deux éléments ont retenu toute notre attention : les pronoms possessifs ‘« ses’ » règles et usages et ‘« sa’ » vérité déontologique. Ainsi, le SNJ, quoi qu’implicitement, oppose à la vérité déontologique du patronat la sienne. Et ce n’est pas tant sur le contenu des règles et usages que le SNJ souhaite revenir puisque ‘« les préceptes énoncés recoupent largement nos textes déontologiques de référence »’ (souligné par nous) mais sur le seul fait qu’il s’agit d’une démarche patronale. Cette dernière se voit littéralement frappée de discrédit par les qualificatifs très dépréciatifs qu’utilisent à dessein le SNJ et les procédés ironiques. Ainsi les ‘« quelques idées’ » sont qualifiées, crescendo, de ‘« simples voire simplistes’ » et d’ironiser : ‘« la presse régionale est plus respectueuse que les autres de la déontologie et du droit des personnes’ » ; ‘« la vraie cause des dérapages c’est l’insuffisante information et formation des journalistes »’. Ici, en reformulant les propos du SPQR, le SNJ pointe le fait que le patronat met en cause directement les journalistes ou du moins leur formation, ce qui, là encore implicitement, lui permet de réaffirmer sa position de défenseur des droits moraux des journalistes. La conclusion de cet article tombe comme un couperet. Pour le SNJ, ces ‘« ambitieux commandements ne peuvent être pris au sérieux’ » et de poursuivre ‘« ce catalogue, certes non conventionnel, n’a, sur ce plan, aucune portée réelle’ » 408 . L’offensive du SNJ est sans appel et discrédite totalement une démarche dont le seul tort est d’être patronale.

Notes
404.

« Livre Blanc de la déontologie des journalistes », Publication du SNJ, 1993, p 6.

405.

Le Journaliste, n°218, 1991.

406.

Idem.

407.

Le Journaliste, n°238, 1996.

408.

Le Journaliste, n°238, 1996.