III) L’USJ-CFDT : « la déontologie, un souci permanent »

1) Les priorités d’action : lutter contre la précarisation et les dérives déontologiques

L’Union Syndicale des Journalistes CFDT est la deuxième instance syndicale en influence derrière le SNJ autonome. Elle est aussi, avec le SNJ, parmi les syndicats de journalistes qui prennent très au sérieux les questions de déontologie et de pratiques professionnelles mais dont le rôle est ‘« avant tout dévoué à la défense des droits et des intérêts matériels et moraux des salariés »’ ‘ 424 ’ ‘.’ S’agissant des questions d’éthique professionnelle l’USJ-CFDT précise que le ‘« combat syndical pour une pratique déontologique ne saurait être séparé des revendications en termes de conditions d’emploi, de travail et de rémunérations »’ 425 . Ce n’est pas ici une originalité mais une revendication particulièrement appuyée dans les discours de la CFDT. En 1993, dans le cadre de la construction de l’espace européen, le bulletin de l’USJ-CFDT titre en grand : ‘« Conditions de travail et déontologie du métier ’». Plus tard, en mars 1995, la politique votée par l’AG de l’USJ-CFDT définit comme priorités d’actions : ‘« la lutte contre la précarisation de la profession et celle contre les dérives déontologiques’ ». En mars 1999, l’USJ-CFDT réitère les priorités de l’action syndicale autour de cette même articulation. Son objectif n’est pas, à l’instar du SNJ, de donner à la profession une dimension déontologique mais de la doter des moyens d’éviter les dérapages en proposant une large réflexion et en dressant un certain nombre de propositions. ‘« Défendre des règles de déontologie ’» passerait avant tout par la ‘« rédaction d’un texte, d’une charte nationale qui engage tous les journalistes et peut aller jusqu’à interdire provisoirement ou définitivement l’exercice de la profession »’ 426 . Pour la CFDT, deux objectifs motivent la rédaction de ce texte. D’une part, il s’agit de pallier l’absence d’une référence française en matière de déontologie. Si l’USJ-CFDT reconnaît la Charte de Munich, adoptée par les deux organisations internationales de journalistes, la FIJ et l’OIJ, elle admet aussi que ‘« la France est pratiquement le seul pays d’Europe occidentale à ne pas s’être doté d’une charte ou d’un code de déontologie pour les journalistes dont la seule existence constitue une garantie »’ 427 . D’autre part, à l’instar du SNJ, ‘« l’USJ-CFDT réclame l’annexion de ce projet de charte des devoirs des journalistes français en préambule de la convention collective »’ et d’ajouter ‘« nous en avons fait une de nos priorités’ » 428 . Pour ce faire, l’USJ-CFDT propose de ‘« lancer une large réflexion’ » notamment en confrontant les expériences étrangères, preuve, de la part de la CFDT, d’une volonté d’ouverture et de mise en partage des expériences. Cela dit, cette ouverture vers l’extérieur est toute relative car elle ne concerne que les confrères étrangers. En France, seule la profession et ses instances représentatives ont droit de cité en matière de déontologie. L’USJ-CFDT est ‘« en effet prête à mener, avec les autres syndicats, une démarche en ce sens »’ 429 . Aucune autre ingérence n’est tolérée car ‘« pour les journalistes CFDT, il est urgent que la profession se donne elle-même les moyens d’éviter ces dérives’  » 430 (souligné par nous) ou encore ‘« il apparaît plus que jamais nécessaire que la profession se donne les moyens de lutter contre les dérives éventuelles des pratiques professionnelles avant que d’autres ne profitent des circonstances pour nous imposer un ordre professionnel’ » 431 ou enfin ‘« pour l’USJ-CFDT, il est urgent que les journalistes se saisissent de ces problèmes de déontologie avant que d’autres ne le fassent dans des conditions qui risquent de mettre sérieusement en péril la liberté de la presse »’ 432 .

Contrairement au SNJ, la CFDT ne s’arroge pas le monopole de la représentation normative de la profession. Elle va même jusqu’à ‘« applaudir des deux mains’ » les initiatives du SNJ, notamment celle de la rédaction d’un Livre Blanc de la déontologie des Journalistes, car selon l’union syndicale ‘« cette initiative rejoint les préoccupations que nous exprimons depuis des années’  » 433 . Cette affinité élective avec le SNJ est même revendiquée. Dans une publication interne, intitulée ‘« Être journalistes CFDT’ », l’auteur pose la question suivante : ‘« A quoi reconnaît-on un journaliste CFDT ? »’. Il explique que le journaliste CFDT a une fiche d’identité et en énumère les principales caractéristiques. Parmi elles, celle-ci : ‘« Pourquoi préférons-nous le SNJ à FO ? Problème de langage »’ 434 . Il est certes vrai que l’USJ-CFDT abonde parfois dans le même sens que le SNJ, mais il semble aussi que les prétentions du syndicat majoritaire puissent à certains égards agacer. Ainsi, la CFDT partage l’idée de l’annexion d’une charte à la convention collective mais n’évoque à aucun moment La Charte du SNJ. Elle lui préfère soit un nouveau texte qui ferait l’objet d’un consensus, soit, ‘« en attendant la rediscussion d’une charte nationale’  », la Charte de Munich. De plus, l’USJ-CFDT n’hésite pas à se démarquer, en rappelant, dans le cadre des observations rendues sur le rapport du Conseil économique et social, que ‘« le rapporteur met en exergue des textes produits par le SNJ, qui n’est qu’une des organisations syndicales de la profession, alors même qu’au-delà du contexte majoritaire, c’est la CFDT qui depuis trente ans pose la question des pratiques professionnelles »’ 435 . Qu’on ne s’y trompe pas !

Si l’on se penche sur la structure narrative de l’USJ-CFDT, après en avoir campé le contexte, plusieurs remarques s’imposent. Le programme de base de la CFDT, en matière d’éthique professionnelle, est de ‘« doter la profession de moyens d’éviter les dérapages’ » en réfléchissant aux dispositifs susceptibles d’être mis en œuvre parmi lesquels :

  • La redéfinition légale du métier de journaliste.
  • L’amélioration des conditions de travail.
  • L’extension des compétences de la commission de la carte au champ déontologique.
  • L’annexion de la Charte de Munich à la convention collective des journalistes.
  • La création d’un observatoire des médias ou d’un comité national d’éthique.

Au cœur de ce dispositif, dont on peut souligner la disparité des objectifs, l’USJ-CFDT va développer une rhétorique où s’exprime de façon très prégnante l’identité syndicale et son rôle. Pour mener à bien son programme de base, l’USJ-CFDT va distinguer plusieurs programmes d’usage : mobiliser les journalistes autour des questions d’éthique professionnelle, d’une part, en introduisant la contrainte de la solidarité professionnelle et celle des intérêts matériels et moraux partagés par les journalistes et, d’autre part, en instaurant un rapport de responsabilisation entre le syndicat et les journalistes. Pour ce faire, l’USJ-CFDT doit réaffirmer sans cesse sa propre existence et donner à son discours une légitimité sans laquelle l’objectif d’unification symbolique n’est pas possible. Elle doit aussi affirmer la solidarité des journalistes en face d’un adversaire commun : le patronat.

Notes
424.

Journalistes CFDT, « A quoi sert le syndicat ? », 1991.

425.

Journalistes CFDT, n°277, avril 1994.

426.

Idem.

427.

Idem.

428.

Journalistes CFDT, n°277, avril 1994.

429.

Journalistes CFDT, n°276, février 1994.

430.

Journalistes CFDT, n°277, avril 1994.

431.

Journalistes CFDT, n°279, mars 1995.

432.

Journalistes CFDT, n°280, juillet 1995.

433.

Journalistes CFDT, n°276, février 1994.

434.

Journalistes CFDT, supplément, 1991.

435.

Observation sur le texte de Claude Chambonneaud, rapport de séance du 17 mars 1999.