2) La contrainte de « la solidarité professionnelle » face au patronat

Le rôle de l’USJ-CFDT consiste dans l’élaboration ou le rappel d’un certain nombre de contraintes censées s’imposer à tous les journalistes au premier rang desquelles la solidarité professionnelle. Elle est clairement énoncée lorsque l’USJ-CFDT appel de ses vœux la formation d’une conscience collective : ‘« La déontologie n’est pas seulement affaire de conscience professionnelle, de morale, de conviction ou d’éthique personnelle. Elle est en effet étroitement dépendante des conditions de travail dans lesquelles le journaliste exerce quotidiennement sa profession (…) Parce qu’ils sont plus vulnérables, les salariés précaires ont le droit de pouvoir compter sur nous. Il y a là une obligation morale autant qu’une impérieuse nécessité. Il ne faut pas s’y tromper : la défense de leur droit est un contrat qui concerne tous les journalistes car les employeurs des « précaires » sont aussi ceux des « titulaires »’ » 436 (souligné par nous). Cet extrait d’article témoigne de la volonté de la CFDT, d’une part, de responsabiliser les journalistes concernant le sort de certains confrères et, d’autre part, de pointer du doigt l’adversaire commun : ‘« les employeurs’ ». Les premiers à être interpellés pour agir, et donc décrits comme des sujets de l’action, sont les journalistes CFDT car ‘« ce combat ne saurait laisser indifférent les journalistes CFDT, qui doivent se saisir de ces problèmes déontologiques partout où ils se posent avec les outils dont ils disposent’  » 437 . L’USJ-CFDT va même parfois jusqu’à s’effacer derrière l’autonomie des ‘« journalistes CFDT’ », comme en témoigne cette phrase : ‘« Pour les journalistes CFDT, il est urgent que la profession se donne elle-même les moyens d’éviter ces dérives. Pour ce faire, ils proposent (…)’ » 438 . Ici aucune distinction n’est possible entre l’objectif du syndicat et celui, totalement assumé, du journaliste CFDT. L’un et l’autre constituent une seule et même identité mise tout entière au service de la défense des intérêts moraux de la profession.

Le journaliste CFDT doit donc servir d’exemple et montrer l’exemple. Mais il n’est cependant pas le seul à être concerné car comme le révèle la conclusion de ce même article : ‘« c’est de la survie de notre profession qu’il s’agit ».’ C’est de cette solidarité professionnelle, qualifiée ‘« d’obligation morale ’», ‘« d’impérieuse nécessité’ », que dépendra ‘« la survie de la profession’ ». Certes excessive, la mise en garde de l’USJ-CFDT demeure une stratégie sinon de persuasion du moins de dissuasion contre d’éventuels logiques individualistes qui conduiraient la profession à sa perte. Le journaliste CFDT est donc sujet de l’action en tant qu’il représente l’USJ-CFDT. Cela dit, ‘« être journaliste CFDT »’ c’est faire preuve d’une certaine manière d’être, que l’USJ-CFDT a savamment cadrée. ‘« Le journaliste CFDT n’est pas une star ’» mentionne un article consacré à l’identité type du journaliste CFDT et de poursuivre ‘« il peut lui arriver d’être en première ligne dans un conflit. Il a toujours la distance par rapport à son propre rôle même en situation de responsabilité, il n’oublie jamais d’où il vient, qu’il n’est jamais qu’un porte-parole des autres’ » 439 . Lorsque la question, ‘« A quoi reconnaît-on un journaliste CFDT ? ’», est posée, l’union syndicale n’hésite pas à répondre ‘« il est d’abord militant d’un collectif ’» et de souligner ‘« qu’il n’a de sens que dans un débat collectif’ ». La contrainte de la solidarité professionnelle s’applique en premier lieu au journaliste CFDT convié à transmettre la bonne parole mais aussi et surtout considéré comme garant de l’unification symbolique. La profession est prévenue, ‘« la déontologie professionnelle n’est pas, pour les journalistes CFDT, une mode ou une préoccupation devenue soudain d’actualité. La déontologie et les pratiques professionnelles sont, pour l’USJ-CFDT, un souci permanent que nous n’avons cessé d’exprimer, en proposant une large réflexion ’» 440 . Ces propos montrent sans équivoque qu’il n’y a aucune distinction possible entre le journaliste CFDT et l’USJ-CFDT dont les identités respectives sont interchangeables. Cette assimilation va même plus loin lorsque le syndicat précise que ‘« le journaliste CFDT est d’abord CFDT avant d’être syndicaliste’  ». Le travail syndical est ici a double niveau : il faut que le journaliste CFDT, en tant que militant, produise une identification et qu’il paraisse lui-même comme parfaitement représentatif de l’USJ-CFTD. Ce verrouillage identitaire nous conduit à réfléchir sur l’usage du pronom ‘« nous’ ». Jean-François Tétu nous rappelle à cet égard que ‘« la grammaire apprend que « nous » ne résulte pas seulement de l’addition d’un « moi » + « toi », ou « moi »+ « vous », mais constitue toujours une « expansion » du sujet qui englobe d’autres personnes dans un « être » ou un « faire » dont la source est le sujet’ » 441 . Dans le discours de l’USJ-CFDT, et suivant notre analyse sur le travail d’unification symbolique, nous avons dégagé un certain nombre de variantes référentielles attachées à l’usage du ‘« Nous’ » :

  • Nous = l’USJ-CFDT + les journalistes CFDT (sujet collectif) est la forme la plus représentative du discours de la CFDT : ‘» Parce qu’ils sont plus vulnérables les journalistes précaires ont le droit de pouvoir compter sur nous’ » 442
  •  Nous = L’USJ-CFDT (là aussi sujet collectif) : ‘« L’USJ-CFDT réclame l’annexion à la convention collective de la Charte de Munich. Nous en avons fait une de nos priorités. Nous proposons de lancer une réflexion, la plus large possible, autour d’un projet de charte des devoirs des journalistes français »’ 443
  • Nous = l’USJ-CFTD + la profession : ‘« la profession que nous exerçons’ » 444  ; ‘« Il ne faut pas s’y tromper : la défense de leur droit est un contrat qui concerne tous les journalistes (…) jamais en effet nous avons été aussi près de ce fameux journal sans journalistes’  » 445

L’USJ-CFTD fait un usage du « nous » essentiellement comme opérateur de mobilisation en invitant la profession à considérer le syndicat et ses militants comme entièrement dévoués à l’intérêt collectif. Elle exprime plus clairement cette stratégie en précisant ‘« mais comment traduire les revendications individuelles en luttes collectives ? La solidarité. Il ne suffit pas de dire « Nous », le patron n’est pas dupe. Il faut que chaque collègue élu des rédactions veuille bien aider à porter ce « nous » ’» 446 .

Notes
436.

Journalistes CFDT, n°279, mars 1995.

437.

Idem.

438.

Journalistes CFDT, n°277, avril 1994.

439.

Journalistes CFDT, supplément, 1991.

440.

Journalistes CFDT, n°277, avril 1994.

441.

Tétu J.F, op. cit., p 8.

442.

Journalistes CFDT, n°279, mars 1995.

443.

Journalistes CFDT, n°277, avril 1994.

444.

Idem.

445.

Journalistes CFDT, n°279, mars 1995.

446.

Idem.