3) L’échec du consensus

Contrairement au SNJ, elle ne met pas en cause l’action des autres syndicats et ne cherche pas à les disqualifier pour imposer son discours comme seul légitime. C’est là le signe d’une volonté inconditionnelle de l’USJ-CFDT de voir la profession réellement solidaire. Cette stratégie lui permet toutefois d’asseoir une position de tiers médiateur dans le paysage médiatique et dans celui des syndicats français de journalistes. Cette position est manifeste lorsqu’elle explique, dans un éditorial, que ‘« c’est ce à quoi s’emploie l’USJ-CFDT qui milite pour que patrons de presse, de l’audiovisuel comme de l’écrit, du secteur public comme du secteur privé, et les journalistes engagent cette réflexion globale sur les problèmes de déontologie’ » 447 . La CFDT fait fi, par ailleurs, de la concurrence entre les syndicats de journalistes pour mieux se positionner comme la figure du consensus. Elle est en effet ‘« prête’ », comme elle l’écrit, ‘« à mener avec les autres syndicats une nouvelle démarche »’ 448 . Cela dit, ‘« les autres syndicats’ » ne l’entendent pas ainsi. En avril 1994, ‘« l’USJ-CFDT propose à l’ensemble des organisations syndicales de journalistes d’organiser dans le cadre du 60ème anniversaire de la CCIJP, une rencontre nationale sur l’éthique professionnelle’ » 449 . Un an plus tard, en mars 1995, le syndicat CFDT dresse un constat, non sans amertume : ‘» après l’échec d’une tentative d’organisation intersyndicale (avec la CGT et le SNJ) de cette rencontre, nous proposons à des partenaires d’autres milieux professionnels de se joindre à nous »’ 450 .

Plus globalement, dans l’un de ses bulletins, la CFDT-journalistes précise son point de vue : ‘« toutes les autres organisations syndicales de journalistes ne peuvent pas être considérées sur le même plan. L’USJ-CFDT entretient des contacts réguliers avec le SNJ, FO et le SNJ-CGT, en revanche avec la CFTC et la CGC, si les rapports sont courtois aucune démarche d’action unitaire n’est envisagée’ » 451 . Cette remarque n’est pas fortuite car en effet toutes les organisations syndicales ne sont pas considérées sur le même plan. Le SNJ fait, à ce titre, l’objet d’une attention toute particulière de la part de l’USJ-CFDT qui entretient avec lui des relations ambiguës. Serait-ce parce qu’il représente la première force syndicale devant la CFDT ? En effet, force est de constater que le discours qui légitime les prises de positions de l’USJ-CFDT se renforce lorsqu’il est directement confronté à celui du SNJ. Ainsi, en réponse au rapport de Claude Chambonnaud consacré à ‘« La liberté d’information et protection du citoyen face au développement des médias’ », l’USJ-CFDT affirme que ‘« le rapporteur met en exergue des textes produits par le SNJ, qui n’est qu’une des organisations syndicales de la profession’ »et de souligner ‘« alors même qu’au-delà du contexte majoritaire, c’est la CFDT qui depuis trente ans pose la question des pratiques professionnelles. C’est d’ailleurs elle qui, depuis 1983, demande la mise en place d’un observatoire des médias. C’est elle encore qui réclame aujourd’hui un comité d’éthique nationale. Ce sont bien souvent ses militants qui sont à l’origine des médiateurs, qui sont parfois des adhérents ou des proches d’elle’ » 452 . Nous retrouvons ici des relents de la rhétorique du SNJ qui n’hésite pas, quant à lui, à s’imposer sur ces questions comme seul discours légitime. Cette démarcation nécessaire, entre le SNJ et l’USJ-CFDT, conduit d’ailleurs cette dernière à un effort permanent sinon d’explication du moins de traduction pour nommer autrement ce qui fait l’enjeu du conflit et notamment celui du monopole de la représentation normative de la profession. Dans le Bulletin ‘« Journalistes CFDT’ » n°280 de juillet 1995, consacré pour une large part à la déontologie, l’USJ-CFDT revient sur l’histoire de la Charte de Munich. Son auteur, Paul Parisot, note ‘« qu’il n’est pas inutile d’en rappeler la genèse car les journalistes CFDT se sont longtemps contentés d’un texte plus vague et qui ne comporte que très peu de garanties clairement formulées ’». Ce texte, dont l’auteur prend la précaution de ne citer ni le nom ni ses initiateurs, n’est rien moins que la charte de 1918, c’est-à-dire celle du SNJ. Le suspens ne dure pas longtemps puisque plus loin, Paul Parisot lève voile en expliquant ‘« Ce texte était réputé avoir été élaboré en 1918 par le syndicat autonome ; en réalité il n’avait vu le jour que l’année suivante après que la dernière main eut été mise par Clément Vautel, chroniqueur ultra conformiste qui devint célèbre comme auteur de « mon curé chez les riches » et tête de turc privilégiée du Canard Enchaîné. On avait adopté ce texte faute de mieux’ ». Cette affirmation, qu’il est difficile de vérifier, est de taille et réduit La Charte du SNJ à une salle d’attente, un instrument provisoire que l’on s’est contenté de brandir jusqu’à la création de la Charte de Munich, ‘« seule base de notre éthique professionnelle’ » 453 . L’estocade est de bonne guerre mais il est toutefois intéressant de noter que dans d’autres augures, l’USJ-CFDT se satisfait pleinement de La Charte du SNJ, là peut-être encore, faute de mieux.

Au-delà de l’anecdote, cette observation nous paraît être importante car elle constitue sans aucun doute le point d’achoppement de la stratégie du ‘« consensus’ » qu’entend mener l’USJ-CFDT. L’absence de clarté concernant la position de l’USJ-CFDT à l’égard de La Charte du SNJ entame indéniablement sa crédibilité auprès du SNJ, dont elle se veut pourtant le compagnon de route. De plus, si la Charte de Munich constitue un référent pour l’USJ-CFDT en matière d’éthique professionnelle, l’instance syndicale CFDT n’hésite pas à dire qu’elle pourrait lui préférer ‘« un projet de charte des devoirs des journalistes français dont nous avons déjà jeté les bases’ » 454 . Est-ce là une volonté, assez floue, de doter la profession d’une référence éthique estampillée ‘« CFDT’ » ou bien celle d’émettre des propositions en vue de susciter le débat au sein de la profession ? Il est difficile d’y répondre.

Notes
447.

Journalistes CFDT, n°281, novembre 1995.

448.

Journalistes CFDT, n°276, février 1994.

449.

Journalistes CFDT, n°277, avril 1994.

450.

Journalistes CFDT, n°279, mars 1995.

451.

Journalistes CFDT, n°279, mars 1995.

452.

Observation sur le texte de Claude Chambonnneaud, rapport de séance du 17 mars 1999.

453.

Journalistes CFDT, n°280, juillet 1995. Voir l’analyse comparative des chartes du SNJ et de Munich, p 275 de notre thèse.

454.

Journalistes CFDT, n°277, avril 1994.