4) L’emploi et l’éthique professionnelle comme objets de valeur

L’articulation discursive du syndicat des journalistes CFDT consiste, outre à viser l’unification symbolique tant au niveau de la profession que de ses représentants, à conjuguer deux repères d’action pour le journaliste CFDT : celui de l’emploi, ‘« protecteur de l’identité’ », et celui de l’éthique professionnelle qui lui est consubstantielle. Ces repères sont des objets de valeur que le journaliste CFDT d’abord, puis la profession tout entière ensuite, sont censés désirer. L’USJ-CFDT, en tant que destinateur, s’en explique. Elle dresse un lien irrémédiable entre les deux repères : ‘« le combat syndical pour une pratique déontologique ne saurait être séparé des revendications en termes de conditions d’emploi, de travail et de rémunérations’ » 455 . Et c’est là un leitmotiv dans le discours CFDT. Les ressorts de cette articulation trouvent leur origine dans ce qui constitue l’essence même de l’action syndicale : défendre les intérêts moraux et matériels de la profession. L’USJ-CFDT prend son rôle à la lettre et tente de convaincre ses troupes de ce double objectif. A cet effet, le syndicat des journalistes CFDT va, à l’intention de la profession, dresser les enjeux qui se trament. Le premier d’entre eux est, comme nous l’avons déjà dit, celui de ‘« la survie de la profession ’». Mais c’est aussi celui ‘« d’une garantie d’indépendance des journalistes (…) avant que d’autres ne profitent des circonstances pour nous imposer un ordre professionnel’ » 456 . C’est enfin celui de préserver la liberté de la presse, symbole de l’unité professionnelle par excellence. La conclusion de l’article intitulé ‘« Notre déontologie n’est pas à vendre’ » rend compte, à lui seul, de ces enjeux que nous avons déjà cités par ailleurs : ‘« Si l’on y prend garde, les journalistes pourraient bien, un jour, subir le même effet boomerang que celui que les hommes politiques connaissent actuellement du fait du télescopage entre les phénomènes de corruption et la loi de décentralisation. Pour l’USJ-CFDT, il est urgent que les journalistes se saisissent de ces problèmes de déontologie avant que d’autres ne le fassent dans des conditions qui, sous couvert de protéger la présomption d’innocence, risquent de mettre sérieusement en péril la liberté de la presse’ » 457 .

Selon la CFDT, la pérennité de la profession est mise à mal par ‘« les logiques développées par les éditeurs »’ 458 qui constituent une menace sérieuse pour les journalistes. Celles-ci entraînent ‘« le phénomène de précarisation galopante de la profession’  » et conduisent les pratiques professionnelles sur la voie des dérapages car ‘« les pratiques journalistiques sont la plupart du temps la résultante des logiques d’entreprise. Ce sont les directions d’entreprise et leurs hiérarchies qui effectuent le plus souvent le choix que mettent en œuvre ensuite les journalistes’ » 459 . Si l’USJ-CFDT semble désigner le patronat comme le responsable des dérives journalistiques, elle n’en fait pas pour autant un coupable idéal. Nombreux sont ceux qui, aux côtés des employeurs, sont mis en cause en matière de dérapages notamment la profession ‘« où la tendance à s’ériger en juge est une pratique courante »’ 460 . Son message s’adresse plus particulièrement à ‘« un certain nombre de confrères qui ont un peu trop tendance à confondre leurs intérêts personnels avec des intérêts privés »’ 461 . Seule la solidarité professionnelle peut conduire au salut de la profession. L’intérêt privé est dès lors un anti-programme qu’il s’agit de dénoncer. Le syndicat CFDT fustige aussi ‘« les dérives inadmissibles que l’audiovisuel n’a fait que cristalliser’ » 462 . Ce secteur d’activités spécifique rassemble à lui seul, dans le discours de la CFDT, tous les maux de la profession. Il donne l’exemple à ne surtout pas suivre. L’ensemble de ces protagonistes est discrédité et ce à plusieurs égards. Du fait de l’inertie dont ils font preuve – ‘« nous avons demandé en vain aux patrons de presse »’ - ou de ce qu’ils représentent, les employeurs incarnent les pressions économiques, les phénomènes de concentration qu’ils cautionnent et la technique qu’ils utilisent. Et c’est là un risque présenté comme majeur pour la profession. En effet, l’USJ-CFDT exprime une méfiance manifeste à l’égard de l’évolution des techniques dont le patronat pourrait se servir dans un but précis. Le syndicat précise ses craintes en soulignant que ‘« jamais en effet nous n’avons été aussi près de ce fameux journal sans journalistes auquel rêvent certains patrons de presse d’autant que les techniques le permettent »’ 463 . Mais, il n’en reste pas à ce seul constat. ‘« Les dérapages déontologiques sont »,’ pour lui, ‘« de plus en plus fréquents du fait de l’évolution vertigineuse des moyens et des techniques de communication’ » 464 et d’insister ‘« Tout ceci s’organise à un moment où la profession de journaliste est confrontée à des évolutions sans précédent (développement de nouveaux médias, informatisation des rédactions, transmissions des images satellites) qui font que le journaliste est amené à travailler de plus en plus vite, au nom d’une lutte contre la concurrence de plus en plus exacerbée’ » 465 . L’évolution des techniques sert d’assise au pouvoir patronal qui paraît en revendiquer l’usage au détriment de la profession et de ses pratiques. Là encore, l’USJ-CFDT se dresse comme rempart en s’adressant à la profession : ‘« la CFDT en appelle à la reconnaissance de l’entité juridique des équipes rédactionnelles qui permettent collectivement aux praticiens de l’info que sont les journalistes de réfléchir, se prononcer, voire s’opposer aux logiques développées par les éditeurs »’ 466 . Il s’agit bien, ici, de poser le patronat comme anti-sujet et ses logiques comme anti-programme. Il s’agit aussi de prôner une démarche collective qui s’inscrit dans le cadre d’un programme qui vise la solidarité professionnelle, leitmotiv de l’USJ-CFDT.

Notes
455.

Idem.

456.

Journalistes CFDT, n°279, mars 1995.

457.

Journalistes CFDT, n°280, juillet 1995. Sur cette question, Le SNJ tient les même propos.

458.

Observation sur le texte de Claude Chambonneaud, rapport de séance du 17 mars 1999.

459.

Idem.

460.

Journalistes CFDT, n°276, février 1994.

461.

Journalistes CFDT, n°277, avril 1994.

462.

Idem.

463.

Journalistes CFDT, n°279, mars 1995.

464.

Idem.

465.

Journalistes CFDT, n°280, juillet 1995.

466.

Observation sur le texte de Claude Chambonneaud, rapport de séance du 17 mars 1999.