2) « Indépendance syndicale vs modernité »

Il semble que le SGJ-FO concentre ses revendications sur les acquis sociaux de la profession et s’oppose à toute évolution qui puisse compromettre ces acquis mais surtout l’existence voire la reconnaissance même du syndicalisme. Les remarques qu’a adressées le SGJ-FO à Jean Schwoebel, concernant sa proposition de relancer, en 1992, la formule des Sociétés de rédacteurs, sont à cet égard édifiantes. Dans son éditorial intitulé ‘« Les anciens et les nouveaux’ », le SGJ-FO s’insurge contre les ‘« ambitions’ » de Jean Schwoebel qui ‘« n’a qu’une réponse à toutes ces questions, dans la mesure où il se les pose : « la création des Sociétés de rédacteurs’  ». Toujours dans la même tonalité, le SGJ-FO s’interroge ‘« est-il nécessaire de mettre sur pied des structures nouvelles de conception corporatiste inspirées par l’association capital /travail pour apporter aux journalistes les garanties nécessaires au sain exercice de la profession ? ’» 471 . Il faut donc arriver à ces quelques lignes pour donner un sens au titre de l’éditorial, qui oppose les anciens vs les nouveaux. L’enjeu pour le SGJ-FO ne porte pas sur la remise en cause de l’arsenal légal et réglementaire de la profession car, selon lui, ‘« le fait qu’il soit inopérant ne veut pas dire qu’il est inexistant’ » 472 mais sur la remise en cause du rôle du syndicat. La crainte d’être relégué au rang des formules anciennes conduit le SGJ-FO à mettre en garde les journalistes syndicalistes contre la tentation d’être séduits par des ‘« formules dites modernes’ » dont l’ambition, révèle le SGJ-FO, n’est autre que ‘« d’instaurer un succédané de syndicalisme ’» 473 . Conscient du redoutable défi que représente pour lui la création des Sociétés de rédacteurs et au-delà la modernité qu’elle incarne, le SGJ-FO n’a d’autres solutions que de se référer au ‘« réalisme’ » qui ‘« consiste à rappeler - ce que nous avons cessé de faire depuis l’apparition de cette formule - que ce n’est pas l’entrée de quelques confrères dans les conseils d’administration, voire dans le capital même moral, des entreprises qui suffira à faire appliquer des mesures qui déplaisent à nos employeurs’ » 474 . Il est intéressant de souligner que la modernité, dans les discours du SGJ-FO, est tout entière rattachée au modèle patronal qui l’incarne. Pour le syndicat FO, l’économie de marché, dans laquelle se complaît le patronat, est la marque de la modernité et d’expliquer ‘« Et ces concessions, les puissances d’argent et les pouvoirs politiques en attendent au nom du « modernisme » pour pouvoir traiter de ringards ceux qui refusent ce modernisme »’ 475 . C’est ici une manière de renforcer l’identité syndicale dans le rapport de force. C’est aussi l’expression des peurs inconscientes de se fondre dans l’autre et de disparaître. D’où le rejet de la modernité, du modernisme et de ‘« l’intérêt général’ ». Cette résistance, qui induit notamment des prises de positions radicales, est d’autant plus vive que l’identité syndicale est mal assurée et qu’elle est fragile.

Il est à noter, par ailleurs, que le SGJ-FO ne trouve pas l’occasion de réclamer la conquête de la gestion de l’entreprise mais bien plutôt de revendiquer l’irréductible antagonisme capital /travail auquel il est attaché. Le discrédit est désormais jeté sur les ambitions de Jean Schwoebel, qualifiées même ‘« d’élucubrations’ », au profit d’un projet bien ‘« plus urgent et efficace »,’ celui de ‘« revigorer les syndicats de journalistes ’» 476 et leur identité respective sans doute face aux défis du ‘« modernisme’ ». C’est d’ailleurs là, un des thèmes de prédilection du SGJ-FO qui prône sans cesse l’indépendance et la liberté syndicale. C’est aussi la raison pour laquelle, le syndicat FO cherche à contenir les menaces qui réduiraient son champ d’action à la portion congrue. ‘« Réaffirmer l’importance d’un syndicalisme fort »’ et l’antagonisme irréductible du capital et du travail, constitue la matrice discursive du SGJ-FO et servira de base à toutes formes de revendication et de dénonciation, comme nous l’avons vu dans l’exemple des Sociétés de rédacteurs.

Notes
471.

La Morasse, n°840, 1992.

472.

Idem.

473.

Idem.

474.

Idem.

475.

La Morasse, n°836, 1991.

476.

La Morasse, n°840, juillet août septembre 1992.