3) L’unité professionnelle comme forme de résistance

En matière de déontologie, le mot d’ordre qui est prôné par le SGJ-FO est l’unité professionnelle. Ce paradoxe, qui va à l’encontre de la défense des intérêts des seuls mandants, s’explique par la crainte d’une prise en charge patronale ou étatique des moyens de réguler la profession et, in fine, la remise en cause de l’expression syndicale. Mieux vaut en effet être unis pour faire front et résister aux tentatives patronales d’atteintes aux libertés. Dans l’un des ses articles, le SGJ-FO rappelle que ‘« nous pouvons tous nous prévaloir de la clause de conscience, des même droits aux congés, aux dispositions fiscales et d’une même carte professionnelle quelles que soient les techniques de diffusion ou d’impression que nous utilisons, quels que soient nos employeurs publics ou privés. Cette unité, c’est aussi notre intérêt’  » 477 . Le syndicat invite la profession à poursuivre des finalités - défendre nos acquis - exigeant la solidarité pour aboutir. Elle la convie par ailleurs à considérer le rôle du syndicat comme indispensable pour lutter contre ‘« cette offensive psychologique de la part des personnes extérieures au mouvement syndical (…) celles qui se complaisent à prédire la fin du syndicalisme emporté à leur avis par la poussée généralisée d’un individualisme débridé ’» 478 . Les mots tranchent et opposent l’union vs l’individualisme, les conditions de travail contraignantes vs la rentabilité de l’entreprise, le syndicalisme fort vs la prolifération de syndicats maison, indépendance vs concessions, etc. Dans tout cela, revient la thématique du modernisme, notion consubstantielle à l’émergence de l’individu voire à son triomphe. L’union professionnelle défendue par le SGJ-FO est l’un des moyens de combattre l’affaiblissement de l’individu et de restaurer le rôle du syndicat en tant que réseau de solidarité. Le Syndicat FO se pose, auprès de la profession, comme un instrument incontournable de la lutte et se définit même comme ‘» bouclier de l’indépendance d’une profession que les puissances d’argent et les pouvoirs publics rêvent de mettre au pas »’ 479 . Jean-François Tétu explique, dans une analyse consacrée au discours syndical, que ‘« l’unification symbolique est une visée stratégique car elle permet seule d’intégrer les composantes hétérogènes dans une communauté qui pourra, par son nombre et sa puissance, imposer les objectifs fixés par le groupe lui-même ou par ses représentants »’ 480 . D’où l’intérêt, pour le SGJ-FO de rappeler ce qui fait le ciment de la profession : clause de conscience, carte de presse, le statut de 1935, etc. Il invite donc le journaliste à se définir non pas par rapport à l’entreprise de presse car ‘« se fonder sur l’originalité de nos entreprises pour se considérer comme journalistes « à part » aboutirait à ne plus avoir de journalistes à part entière »’ mais par rapport à ‘« une base commune de culture générale’ » de laquelle le syndicat FO se porte garant. En effet, toujours selon lui, ‘« cultiver au point de les exacerber nos « spécificités », aboutirait, sur le plan syndical, à la prolifération de « syndicats maisons » avec toutes les concessions que cela suppose »’ 481 .

Comment dès lors cette stratégie d’unification symbolique s’articule-t-elle autour du thème de la déontologie et de l’éthique professionnelle ? Dans un éditorial intitulé ‘« La déontologie en question »’, le SGJ-FO rappelle sa position : ‘« il nous incombe à nous, journalistes, de ne pas baisser les bras et de défendre sans cesse ce à quoi nous sommes tous attachés, à savoir la liberté d’expression dans le respect de notre déontologie’ » 482 . L’emploi du pronom ‘« nous’ » qui précède son référent ‘« les journalistes’ » vise à mobiliser la communauté journalistique pour défendre ‘« la liberté d’expression »’ et ‘« le respect de notre déontologie’ » posés comme des objets de valeur. Cela dit, cet emploi du ‘« nous’ » avait été préalablement utilisé pour désigner ‘« le syndicat général des journalistes FO : « Ce qui signifie pour nous, SGJ-FO, la défense de la liberté d’expression et des conditions dans lesquelles nous exerçons notre profession’ » 483 . Cette articulation est intéressante car elle conduit le lecteur à considérer l’emploi du ‘« nous’ » d’abord en référence au syndicat FO puis plus loin à la profession. Cet ordre n’est pas innocent et constitue même une matrice que le SGJ-FO s’emploie à utiliser régulièrement. Dans un article consacré aux événements de la Guerre du Golfe, le SGJ-FO réitère l’exercice, en respectant l’ordre décrit ci-dessus :

C’est donc le syndicat et la profession, présentés comme les destinateurs au nom desquels il faut agir, qui forment les principes de la logique d’action.

L’objectif, pour le SGJ-FO, est clairement d’éviter une dispersion qui affaiblirait sa légitimité comme il est écrit dans ce même article : ‘« le morcellement de la représentation des journalistes FO, discrédite notre syndicat et porte atteinte à notre action’ » 486 . Il est donc nécessaire de réduire l’espace d’autonomie du journaliste en lui proposant le cadre d’intervention du syndicat FO. L’inverse conduirait à une crise des repères au premier rang desquels celui du syndicalisme.

Notes
477.

La Morasse, n°836, 1991.

478.

La Morasse, n°836, 1991.

479.

Idem.

480.

Tétu J.F, op.cit., p 8.

481.

La Morasse, n°836, 1991.

482.

La Morasse, n°844, 1993.

483.

Idem.

484.

La Morasse, n°836, avril mai juin 1991.

485.

Idem.

486.

La Morasse, n°844, 1993.