V) Le SNJ-CGT : « Ne nous laissons pas encoder ! »

1) S’opposer aux politiques patronales

‘« Le SNJ-CGT, pleinement CGT, est ambitieux’ » 508 déclare son secrétaire général, Michel Diard, dans un éditorial daté de juillet 2001 consacré à l’esquisse d’un nouveau journalisme. Les ambitions du SNJ-CGT, au-delà de ce que lui impose l’actualité et les crises qui ponctuent l’évolution des pratiques professionnelles, s’articulent autour de quatre objectifs, piliers de la stratégie discursive du SNJ-CGT :

  • Défendre une autre conception de l’information
  • Rechercher l’indispensable unité pour envisager des réponses collectives
  • Conquérir de nouveaux droits
  • Redéfinir les conceptions de l’exercice de la profession.

Antilibéral, d’ailleurs adhérent d’ATTAC, intransigeant avec le modèle patronal et ses conséquences sur la profession, le SNJ-CGT est, parmi les organisations syndicales de la profession, l’un des plus radicaux. Il le reconnaît en écrivant, dans un éditorial intitulé ‘« Pour un journalisme de dignité ’» ‘: « Résister suppose lutter au quotidien avec les organisations syndicales, et notamment avec la plus radicale d’entre elles, le SNJ-CGT, pour s’opposer aux politiques patronales multiformes’ » 509 . Son rôle, outre la défense des intérêts matériels et moraux de la profession, est ‘« d’apporter des preuves des dangers qui nous guettent et qui guettent la liberté d’informer »’ 510 comme le confirme le titre de son bulletin ‘« Témoins’ ». Il en va même de ‘« sa responsabilité »’. Les moyens mis en œuvre sont la dénonciation, l’appel à la résistance de la profession voire ‘« l’encouragement à la révolte lucide et collective’ » 511 . En matière de déontologie, la lutte s’organise aussi autour de la résistance mais avec une précision et une pointe de dénonciation qui en disent long sur l’approche des questions déontologiques par le syndicat CGT : ‘« résister suppose de ne pas se dissimuler derrière une phraséologie déontologique lénifiante, les codes de déontologie ne servant que d’alibi à toutes les démissions, comme le prouve l’exemple de Jean-Marie Messier, patron de Vivendi, qui a embauché des magistrats pour élaborer de telles chartes’ » » 512 .

Le SNJ-CGT n’est jamais à court de preuves lorsqu’il s’agit de dénoncer les pratiques patronales, celles, dit-il, qui ‘« précarisent, qui attentent à notre dignité et à nos conditions de travail, à notre statut, à nos droits d’auteurs, etc.’ » 513 . Ses références se confondent avec celles exposés dans ‘« La tyrannie de la communication ’» d’Ignacio Ramonet ou encore dans ‘« Les nouveaux chiens de garde’ » de Serge Halimi dont le syndicat CGT assure largement la promotion. Il se reconnaît pleinement dans la dénonciation des effets néfastes du néolibéralisme qui conduit, selon lui, à une interprétation nouvelle des mécanismes de fabrication de l’information. A l’instar de l’USJ-CFDT, qui rappelle que du combat dépendra la ‘« survie de la profession’ », le SNJ-CGT dresse un constat alarmiste : ‘« Il est urgent de débattre pour redéfinir les conceptions de l’exercice d’une profession en perdition, pratiquée par des hommes et des femmes qui ont du vague à l’âme et qui ont perdu beaucoup de leurs repères »’ et d’interroger ‘« Le journaliste (…) a-t-il d’autre choix que celui de la lutte pour reconquérir l’information et la rendre au citoyen ?’ » 514 . Cette lutte est censée s’imposer aux journalistes tant la situation paraît préoccupante et ne saurait s’envisager sans notamment l’unité professionnelle…derrière la CGT. Pour ce faire, le syndicat CGT destinateur s’adresse, via la manipulation (responsabilisation et séduction) aux journalistes destinataires :

Fonction actancielle du SNJ-CGT Exemple et traduction en termes de rapport entre le syndicat et les journalistes
SNJ-CGT = destinateur (ici le SNJ-CGT vise à faire-faire) ‘« Alors confrères, vous voyez ce qu’il vous reste à faire’ » ; ‘« Le SNJ-CGT fait appel au sens des responsabilités de la profession’ » ; ‘« la profession de journalistes est placée devant une alternative : où elle se lève et rejoint le mouvement antilibéral (…) ou elle est appelée à sombrer (…)’ »
( rapport de responsabilisation) manipulation
SNJ-CGT = destinateur et objet de valeur ‘« Aujourd’hui, ils ont encore les moyens de dire halte en choisissant le syndicat le plus radical, le SNJ-CGT, dont on sait qu’il est honnête, compétent, le plus déterminé, attentif aux opinions de tous et à la recherche de l’indispensable unité’ »
(rapport de séduction) manipulation

Le discours investit le syndicat du rôle de destinateur. On insiste alors sur l’importance du vote, de son transfert au syndicat surtout. Et c’est là une fonction très prégnante dans le discours du SNJ-CGT basé sur l’idée de responsabilisation. Bien au-delà des élections à la commission de la carte, qui constituent un enjeu essentiel de représentation syndicale, la responsabilisation de la profession est un des leitmotivs du discours de la CGT, notamment en matière de déontologie et d’éthique professionnelle. Ainsi le SNJ-CGT met l’accent sur la relation de dépendance qu’il entretient à l’égard des journalistes ‘« Nous ne connaissons qu’une seule réponse collective : le syndicat’ » 515 et promeut en même temps ‘« qu’avec leurs syndicats, les journalistes ont le devoir de préserver leurs acquis sociaux et leurs droits moraux’ » 516 . Le SNJ-CGT prétend par ailleurs laisser le rôle principal et actif aux journalistes en se présentant comme adjuvant d’une action dont il n’est d’ailleurs pas le sujet grammatical : ‘«En votant pour le SNJ-CGT, les cris des journalistes deviendront si assourdissants qu’il ne sera plus possible de ne pas en tenir compte. Par leur vote, ils signifieront au patronat leur refus d’une presse « politiquement correcte »’ » et de conclure sur sa participation active ‘« ce numéro de Témoins est particulier. Il se veut le reflet des cris des journalistes d’aujourd’hui’  » 517 . Ici la frontière entre le rapport de délégation et celui de participation est fragile, mais c’est le sujet grammatical ‘« ils’ », en référence aux journalistes, qui tranche entre les deux rapports. Le journaliste est bien sujet de l’action et le syndicat, l’adjuvant. Enfin le syndicat peut se substituer à l’objet de valeur et se proposer directement à la convoitise du journaliste-destinataire, à l’admiration de ses vertus intrinsèques : ‘« honnête, compétent, déterminé, attentif, etc. ’» 518 . C’est ici, indubitablement, le discours de la séduction qui agit.

Notes
508.

Témoins, nouvelle série, n°7, juillet 2001.

509.

Les documents du SNJ-CGT, avril 2000, p 20.

510.

Idem.

511.

Les documents du SNJ-CGT, avril 2000, p 3.

512.

Idem.

513.

Idem.

514.

Témoins, n°28, 1995.

515.

Témoins, n°30, 1996.

516.

Témoins, nouvelle série, n°3, avril 2000.

517.

Témoins, n°34, 1997 .

518.

Idem.