3) « Ce que nous croyons »

Deux programmes sont alors clairement distincts. L’un ‘« fait appel au sens de la responsabilité de la profession »’ 535 , l’autre, au contraire, l’accule à se déresponsabiliser comme en témoignent les propos du syndicat ‘« sous le couvert d’un rappel du droit de la presse et au prétexte de leçon de déontologie, apparaît clairement la volonté - patronale - de déposséder les journalistes de toute responsabilité (…) »’ et d’ajouter ‘« la spécificité du métier de journaliste induit une quotidienne prise de responsabilité individuelle incompatible avec la soumission aveugle à une ligne directrice imposée par une hiérarchie omniprésente et avec la formalisation codifiée de l’autocensure que sont les chartes rédactionnelles »’ 536 . Le propos se veut à la fois polémique et critique à l’égard des initiatives patronales en matière d’encadrement normatif de la profession dont le syndicat n’a de cesse d’affirmer l’incompatibilité avec la responsabilité individuelle du journaliste qui seule, pour lui, prévaut.

Il est par ailleurs un point sur lequel le SNJ-CGT revient suffisamment pour que l’on s’y attarde. Aux côtés des pressions économiques qui transforment l’information en marchandise, le syndicat cégétiste dénonce sobrement les pressions de la technique auxquelles la profession est soumise. Évoquant à la fois ‘« la révolution numérique’ » et son corollaire ‘« la nouvelle économie’ » 537 , la CGT semble s’inquiéter de ces ‘« bouleversements technique et économique’ » 538 et fait preuve d’une forme d’incapacité à appréhender les changements des pratiques professionnelles qu’ils induisent. Dans son éloge du journalisme, daté de juin 1995, le syndicat mettait déjà en cause ‘« les nouveaux outils mis à la disposition des entreprises d’information’ » qui, selon lui, ‘« ont trop souvent compliqué la tâche de ceux qui avaient espéré pouvoir informer mieux et plus vite les citoyens (…) au lieu de les aider »’ 539 . Si l’on se penche, pour expliquer ce rejet, sur les travaux de Philippe Bernoux, on retiendra que ‘« tout changement est accepté dans la mesure où l’acteur pense qu’il a des chances de gagner quelque chose et, en tout cas, sent qu’il maîtrise suffisamment les leviers et les conséquences du changement’ » 540 . En matière d’innovation technique, il apparaît clairement que le SNJ-CGT affiche une réserve certes mesurée mais bien réelle. Cela dit, le point d’achoppement semble se situer en amont. Si, comme le rappelle P.Bernoux, ‘« le changement ne peut en effet se réduire à une décision hiérarchique mais doit être accompagné d’un apprentissage de nouveaux modes de relation »’ 541 , nous pensons, à la lecture des documents du SNJ-CGT, que le problème tient à une absence de concertation pour impliquer la profession dans la voie du changement. En effet, après avoir mis en exergue les difficultés rencontrées par la profession à l’égard des nouveaux outils, le SNJ-CGT poursuit sa critique sans ménager la responsabilité du patronat : ‘« Les journalistes d’aujourd’hui parlent volontiers du « mépris » de leurs employeurs pour leur travail’ » et d’insister ‘« jamais le fossé entre eux et leurs patrons (ou leur hiérarchie) n’a paru aussi profond et le divorce paraît vraiment consommé’ » 542 . Le SNJ-CGT ne reste pas pour autant fataliste et conclut sur la nécessité, pour les journalistes, ‘« de se battre dans leur rédaction pour retrouver leur idéal, pour avoir le temps de comprendre toutes les informations, les situer et les resituer’ » 543 . La référence au ‘« temps’ » réclamé par le SNJ-CGT pour comprendre l’information à traiter constitue implicitement une réponse légitime aux pressions de la technique et de la rapidité sans cesse accrue.

Les thèmes abordés et les critiques adressées au patronat font du SNJ-CGT un syndicat de journalistes comme les autres. Cela dit, le ton employé diffère par sa radicalité et ne laisse guère entrevoir une base de négociations y compris avec les autres syndicats de journalistes taxés de prétention ‘« à avoir tout fait, tout réglé, tout obtenu’ » 544 . Le SNJ-CGT se dit ‘« déterminé à faire bouger les choses »’ 545 mais manifestement pas ou peu enclin à ce qu’elles évoluent en matière d’éthique professionnelle : pas de charte, pas de code, pas de conseil de presse, pas d’ingérence politique, juridique ou patronale considérés comme autant de risques de voir la profession perdre son indépendance. C’est du moins ce qu’ils disent, ‘« ce que nous croyons’ … » 546 .

Notes
535.

Témoins, n°39, 1999.

536.

Témoins, n°38, 1998.

537.

Les documents du SNJ-CGT, 2000.

538.

Témoins, n°38, 1998.

539.

Témoins, n°28, 1995.

540.

Bernoux P., La sociologie des organisations, éditions du Seuil, octobre 1985, p 206.

541.

Idem.

542.

Témoins, n°28, 1995.

543.

Idem.

544.

Témoins, n°34, 1997. Nous soupçonnons le SNJ-CGT, ici, de faire allusion au SNJ.

545.

Idem.

546.

Témoins, n°38, 1998.