D’autres, au contraire, marquent l’hétérogénéité des approches syndicales soumises à des interprétations liées à l’identité du syndicat, dont la place est éminente dans leur stratégie discursive respective. Ces différences permettent de dresser une taxinomie de la confrontation sociale qui peut évoluer entre deux pôles : parfois elle sera davantage de type polémique, en d’autres cas elle sera plutôt de type transactionnel. Ainsi des diverses formes de rhétorique relevées, nous distinguons d’une part le syndicalisme de négociation (SNJ et l’USJ-CFDT) vs le syndicalisme de contestation (le SNJ-CGT et le SGJ-FO) 547 . De même, trois types de vocabulaire qui sont ceux de l’offensive, de la médiation et de l’unité, ce dernier étant quasiment commun aux quatre syndicats représentés, s’articulent dans les discours syndicaux. Rappelons-nous les écrits de Marx lequel appelait de ses vœux ‘« l’unité du prolétariat’ » et soulignait la nécessité que ‘« les ouvriers ne fassent qu’une seule tête et un seul cœur’ » 548 . Nous retrouvons donc, pour partie, ce qui fait quasi systématiquement les constituants, les ressorts, la dynamique d’une confrontation sociale, notamment à titre de configuration discursive, dont l’issue, parfois incertaine, relève soit de la victoire soit de la défaite, pour poursuivre dans la terminologie guerrière. Si ces éléments constituent des objets d’analyse conséquents dans le cadre d’une sémiotique syndicale ou encore dans celui d’une sociologie des mouvements sociaux 549 , notre approche s’est réduite, quant à elle, à observer la tendance quasi historique des syndicats de journalistes à la politisation de la défense des intérêts moraux de la profession, à la revendication d’une éthique professionnelle, largement consubstantielle à l’identité syndicale 550 . Certes cette politisation amorce les sempiternels clivages sociaux, avec plus ou moins de pertinence, mais surtout elle conduit à transformer l’éthique professionnelle, en tant qu’objet du discours, en objet de pouvoir. Dès lors, l’enjeu devient le partage de la représentation normative de la profession de journalistes. Qu’en est-il ? Plusieurs constats peuvent être dressés. En premier lieu, il est important de souligner que les formes de revendication inhérentes aux questions d’éthique de la profession restent figées dans les discours syndicaux et traversent le temps avec le même objectif : disqualifier le patronat et sa politique. Car il s’agit bien, comme nous l’avons fait remarquer, de pointer le patronat comme principal responsable des dérives médiatiques mais aussi comme opposant à la réalisation de la quête. En second lieu, il nous faut dire que si l’adversaire est commun, l’intérêt majeur en matière de déontologie est loin de faire l’objet d’un consensus dans le paysage des syndicats de journalistes français. Certes, nous avons noté la permanence de la revendication salariale parfois consubstantielle à celle de la défense des droits moraux de la profession, cela dit les dispositifs mis en œuvre témoignent d’une grande hétérogénéité des approches :
| Syndicats de journalistes |
PN de base (l’objectif visé) |
PN d’usage ( les moyens ) |
| SNJ | « Donner une dimension déontologique à notre profession » | Inclure La Charte du SNJ dans la convention collective Responsabiliser les journalistes Faire considérer l’action syndicale du SNJ comme indispensable |
| USJ-CFDT | « Doter la profession des moyens d’éviter les dérapages » | la redéfinition légale du métier l’amélioration des conditions de travail l’extension des compétences à la commission de la carte L’annexion de la Charte de Munich à la convention collective La création d’un observatoire des médias |
| SGJ-FO | « contrer les dérives et les empiètements des pouvoirs sur la liberté d’expression » | renforcer le syndicalisme libre et indépendant revigorer les syndicats de journalistes |
| SNJ-CGT | « viser l’autodiscipline » | défendre une autre conception de l’information rechercher l’indispensable unité Conquérir de nouveaux droits Redéfinir les conceptions de l’exercice de la profession |
‘« Donner une dimension déontologique à notre profession’ » (SNJ), « doter la profession des moyens d’éviter les dérapages » (USJ-CFDT), ‘« contrer les dérives et les empiètements des pouvoirs sur la liberté d’expression ’» (SGJ-FO) et enfin ‘« viser l’autodiscipline’ » (SNJ-CGT) sont déjà autant de manières d’aborder le thème de l’éthique professionnelle des journalistes. Les méthodes qui président aux logiques d’action syndicale sont, quant à elles, quasiment transversales aux différents discours syndicaux : responsabilisation, dénonciation, séduction, mobilisation, contestation.
L’hypothèse, selon laquelle les « organisations syndicales et les fédérations patronales, en tant qu’adversaires sociaux et discursifs, mettent en place des stratégies discursives de disqualification afin de récupérer le monopole de la représentation normative du groupe professionnel des journalistes, de ses pratiques et de favoriser l’assimilation d’une idéologie » se vérifie, aussi, à la lumière du vocabulaire employé dans les discours syndicaux. En nous penchant sur le dictionnaire analogique nous remarquons que le mot « adversaire » renvoie aux mots « rival » et « combat ». L’adversaire, écrit Le Robert, est « une personne qui est opposée à une autre dans un combat, un conflit, une compétition ». Or, le champ lexical du combat voire celui de la guerre, comme en témoigne cet échantillon lexical des discours syndicaux, est en effet partout présent :
Le SNJ-CGT : « se révolter, lutter, résister, débattre, la lutte, des attaques, défendre, crier, victimes, militer, s’engager, agressions multiples, bâillonner, ne pas se laisser piéger, les accusations, libérer, protéger, la révolte lucide et collective ».
Le SGJ-FO : « le danger, victime, condamner, réagir, cible directe, s’opposer, offensive, désarmer, accuser, les accusateurs, ne pas résister, la défense, rejeter, renforcer le combat, engager l’action, dénoncer, combattre, menacer ».
Nous distinguons ces deux syndicats de journalistes des deux autres, car ils sont sans doute les plus virulents acteurs d’une stratégie discursive de disqualification de l’adversaire patronale. Aucun compromis n’est envisagé, seul le combat compte. En revanche, le SNJ et l’USJ-CFDT optent pour des discours plus policés même si, leurs auteurs respectifs se laissent parfois tenter par la rhétorique guerrière.
L’USJ-CFDT : « la lutte, les moyens de lutter, le combat, l’action, la réaction, résister aux pressions, mettre en péril, se défendre, imposer, s’opposer à, réclamer vs exprimer, proposer, réfléchir, favoriser, redéfinir, recommander ».
Le SNJ : « Ligne de défense, condamner, refuser de sacrifier, obliger, imposer vs qualifier, incomber à, confronter, renforcer, invoquer, reconnaître, se donner les moyens, reconnaissance des divergences, arbitrer, réaffirmer, les solutions, fonder, élaborer ».
Extrait du Capital cité dans Marx K. et Engels F., op. cit., p 7 .
Lire à ce propos : Neveu E., Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 1996, 125 p.
Dans le discours du SGJ-FO, la revendication d’une éthique professionnelle est loin de constituer une priorité.