d) La compétence éthique : une exigence de neutralité

‘« Cette compétence requiert un certain nombre de dispositions’ » 551 , écrit Dominique Memmi dans un article consacré aux débats sur l’éthique des sciences de la vie. L’auteure explique que ‘« si le débat oppose des visages relativement contradictoires (…) cette population nous apprend que participer à l’élaboration d’une morale collective – l’auteure parle plus loin d’un espace de l’éthique – apparaît exiger d’importantes dispositions à la mise à distance : de ses désirs, de ceux des autres ? Celles-ci sont liées à l’occupation plus ou moins définitive de positions sociales, biographiques ou disciplinaires ’» et de souligner ‘« les représentations qu’inspirent ces dernières, les intérêts psychiques, symboliques ou matériels qui leur sont attachés sont cependant dûment retravaillés, c’est-à-dire publiquement neutralisés, apparemment sans objet, sans visée autre que la production normative elle-même »’ 552 . La production normative impose donc, selon elle, la conversion voire l’oubli des intérêts expressifs, une exigence de neutralité et une mise entre parenthèse des fins pratiques. Elle souligne enfin que ‘«l’aptitude sociale à élaborer des frontières symboliques aux activités, aux notions, à l’empire du bien et du mal, permet aussi de marquer son territoire « autour de l’objet scientifiquement partagé : l’humain à faire naître ». Peu importe alors que cette construction collective des limites gomme parfois les identités professionnelles de nos interlocuteurs eux-mêmes’  » 553 .

La compétence morale, nous apprend Dominique Memmi, se construit donc à la faveur de distanciations multiples. Nous ne sous-estimons pas le fait que le contexte de la procréation artificielle offre un terrain propice à la distanciation, tant il est vrai que la vie est un objet d’investissement total. Cela dit, du seul point de vue de la production normative, ces dispositions constituent une base solide de réflexion pour s’acheminer vers une compétence voire une performance éthique. Au regard de notre analyse, il semble que cette faculté fasse défaut aux syndicats de journalistes. ‘« La vitalité éthique’ » dont parle Dominique Memmi est sacrifiée sur l’autel du repli identitaire des syndicats et sur celui de l’incapacité à renoncer au pouvoir respectif dont ils disposent. La crainte de voir leur indépendance, en matière de représentation normative de la profession, supprimée revient à refuser le consensus et à viser plutôt un calcul d’intérêts à long terme : ‘« renforcer le syndicalisme libre et indépendant ’». Dès lors, l’éthique en tant que facteur de rationalisation de l’organisation professionnelle des journalistes et principe d’orientation apparaît clairement soumis à d’autres formes de rationalité au premier rang desquelles, la rationalité syndicale. Or, à l’évidence celle-ci semble définitivement scellée le sort de l’éthique professionnelle à celui de l’autonomie syndicale qui suscite une concurrence exacerbée et nourrit, en matière de représentation normative, une grande confusion des fins et des moyens.

Notes
551.

Memmi D., « La compétence morale », in revue Politix, n°17, 1992, p105. Lire à ce propos : « La demande éthique » in Cahiers internationaux de sociologie, volume LXXXVIII, 1990.

552.

Ibid., p 124.

553.

Idem..