Chapitre V : Le discours patronal face à la question éthicienne

I) Le discours patronal comme discours de la neutralisation

1) La fonction expressive en tant que référence à l’organisation patronale

Avant d’amorcer notre analyse, un certain nombre de remarques s’imposent. Il nous paraît indispensable de rappeler qu’il s’agit de quatre interviews menées auprès des directeurs représentant les plus importantes instances patronales du paysage médiatique français. Nous écrivons volontairement ‘« instance’ » car ce sont des entités composites qui comprennent plusieurs types d’acteurs ou d’organisations. Elles relèvent tantôt du service public, telle l’AESPA, tantôt du secteur privé : la FNPF, la FFAP, le SPQR. Cette observation nous conduit d’emblée à souligner la difficulté voire la réticence avec laquelle nos interlocuteurs se sont exprimés ‘« au nom de »’. Évoquer les questions d’éthique professionnelle ou de déontologie en impliquant l’ensemble des instances constituant les différentes fédérations suppose l’homogénéité des approches. Or, évidemment, ce n’est pas le cas. Dès lors, notre travail consistera à distinguer le Je du Nous et à décortiquer ce que Roland Barthes a appelé ‘« le tourniquet des personnes grammaticales ’» 554 . Notre souci sera de rapporter ce qui relève du ‘« Je’ » en tant qu’instance narrative ou en tant qu’il réfère l’organisation patronale.

Comme le rappelle Catherine Kerbrat-Orecchioni ‘« Ce qui importe au lecteur, ce n’est pas que le « je » représente « honnêtement » l’auteur, mais c’est qu’à chaque occurrence du « Je » (lorsqu’il est censé représenter l’instance narrative) on puisse corréler à la forme linguistique un référent cohérent. Si à l’inverse, la mise en place du texte empêche que se coagule un cohérent ensemble déterminatif, alors « je » demeurera une vacance incessante’ » 555 . Nous verrons en effet que la fonction expressive, celle qui affiche la présence de l’auteur et manifeste son attitude à l’égard de la situation ou du contenu de son message, s’active dès lors que l’organisation patronale est volontairement mise à distance pour des raisons qu’il nous incombera d’expliquer. Certaines, telles que ‘« je ne sais pas’ » ou ‘« je suis incapable de vous répondre’ » paraissent évidentes, d’autres telles que « là aussi c’est une opinion extrêmement personnelle qui me serait reprochée » méritent au contraire de s’y arrêter.

Notes
554.

Cité par Kerbrat-Orrecchioni C., L’énonciation, Paris, Armand Colin, 1999, p 73.

555.

Ibid., p 74.