2) Discours syndicaux vs discours patronaux : les logiques discursives

L’intérêt majeur de notre travail porte sur la possibilité de confronter deux types de discours, l’un syndical et l’autre patronal pour comprendre, in fine, les logiques discursives et d’actions en matière d’éthique professionnelle.

Cette confrontation a déjà permis, du point de vue du fonctionnement du discours, de les distinguer. En effet, selon l’étude de Bernard Gardin, ‘« le discours syndical relève d’une problématique de la conquête du discours ’» et d’expliquer ‘« il s’agit pour les discours syndicaux de « déconstruire le discours patronal » (ou même constituer le vrai du discours patronal) et construire ses propres propositions »’ 556 . Nous avions, quant à nous, utilisé le terme de ‘« disqualification de l’adversaire discursif’ ». Dire ‘« le vrai du discours patronal’ », en le déconstruisant pour mieux le traduire, c’est immédiatement le confronter au discours syndical. B. Gardin souligne à cet effet que ‘« le discours syndical, en tant que discours non dominant, a pour fonction de casser les stéréotypes idéologiques : les « comme on dit », et d’imposer à la place ses propres propositions et son propre vocabulaire’ » 557 . Telle a été effectivement la stratégie discursive du discours syndical, considéré dans son invariance, qui a consisté en un effort permanent de traduction. Nous pourrions même nous interroger sur l’existence voire la pertinence du discours syndical en dehors de son pendant, le discours patronal, tant il est vrai que le premier se construit à partir du second. Marx notait d’ailleurs que ‘« le syndicalisme ne se concevait pas avant l’existence du capital »’ 558 . Sur le plan lexical, cette conquête du discours se traduit par une forme de revendication voire de provocation très prégnante et un champ lexical qui ne laisse aucune place à l’équivoque, comme nous l’avons vu plus haut. Si les discours des syndicats de journalistes possèdent en effet une forte charge polémique, les discours patronaux sont, eux, plus policés. Catherine Kerbrat-Orecchioni et Nadine Gelas expliquent que ‘« ce qui peut a priori définir un texte comme polémique, c’est que l’ensemble de ses propriétés sémantiques, rhétoriques, énonciatives et argumentatives s’y trouvent mises au service d’une visée pragmatique dominante : disqualifier l’objet qu’il prend pour cible, et mettre à mal, voire à mort, l’adversaire discursif’ » 559 . Cette réflexion s’est avérée confirmée lorsqu’elle s’est appliquée aux discours syndicaux. Cela dit, qu’en est-il des discours patronaux ? Les travaux de Bernard Gardin semblent, à ce sujet, apporter un éclairage tout à fait intéressant, auquel nous n’avons pas hésité à soumettre notre propre corpus. L’analyse qu’il conduit sur l’emploi du pronom personnel ‘« On’ » lui permet d’affirmer que ‘«dans le discours patronal, on relève la volonté d’effacer les clivages, d’annuler la distance sociale’ » et d’ajouter ‘« le discours patronal voile sa source pour apparaître comme le discours de tous les sujets »’ 560 . En effet, a priori, l’idéologie patronale est celle de la communauté d’intérêts et non du clivage social. Opter pour le consensus, c’est éviter le désaccord qui conduirait inéluctablement au conflit, facteur de déséquilibre. Dès lors, l’emploi du pronom personnel ‘« On’ » peut être considéré comme un outil idéologique qui marque ou non le clivage social. C’est donc par l’analyse contrastive de l’emploi du ‘« On’ » que nous débuterons notre réflexion sur les discours patronaux.

Notes
556.

Gardin B., op. cit., pp.40-41.

557.

Ibid., p 40.

558.

Marx K et Engels F, op. cit., introduction.

559.

Kerbrat-Orecchioni C. et Gelas N., « La polémique et ses définitions », in Linguistique et sémiologique 7, 1980, avant-propos.

560.

Gardin, B., op.cit., p 39.