b) « On » renvoie à un clivage social

Ici, l’emploi du ‘« On’ » renvoie à un clivage social par l’apparition de deux groupes distincts et l’opposition de leurs comportements et/ou de leurs objectifs.

Il nous faut ici distinguer deux niveaux : le niveau syntaxique, où l’emploi du ‘« On’ » renvoie effectivement à un clivage social (Nous vs eux) et le niveau sémantique qui vient parfois contredire l’analyse syntaxique. Ainsi dans la phrase suivante : ‘« La charte, quand on l’a créée, on l’a aussi envoyée aux syndicats de journalistes qui n’ont pas hurlé parce qu’il n’y a pas grand chose qui puisse les faire hurler »’, il existe bien, d’un point de vue syntaxique, deux groupes distincts (On =la FFAP vs les syndicats de journalistes) mais d’un point de vue sémantique, cette phrase exprime l’absence d’opposition entre les deux protagonistes ‘(« les syndicats de journalistes qui n’ont pas hurlé »’). Il en va de même pour la phrase suivante : ‘« Les dépenses rédactionnelles sont de plus en plus faibles, on demande aux journalistes de plus en plus de choses et y’aura forcément de plus en plus de dérapages »’. Dans cet exemple, une certaine distance sépare ce ‘« on’ » de son référent supposé le ‘« nous’ », c’est-à-dire les membres de la FFAP. A travers cet emploi, dont le référent est sinon tendanciel du moins flou, le directeur de la FFAP semble se désolidariser en marquant volontairement sa distance au ‘« On’ » et donc au verbe qui le régit ‘« demande’ ». Il y a certes clivage entre On vs les journalistes, mais pas seulement. Ce clivage apparaît aussi entre ceux qui ‘«demandent aux journalistes de plus en plus’ » et implicitement les autres.

Le contexte dans lequel l’emploi du On désigne un clivage social est, en toute logique, celui de la négociation. Il implique un ‘« rapport au langage’ » dont B.Gardin nous dit qu’il ‘« reflète à la fois la division sociale qu’on ne peut empêcher totalement de se manifester et sa résolution idéologique par le « on » »’ 564 . Les quelques phrases, que nous avons relevées, témoignent certes de cette résolution mais elles nous semblent finalement assez peu représentatives du corpus de l’emploi du ‘« On’ » dans les discours patronaux. La plupart de ces emplois s’opèrent non pas à la faveur du clivage social mais bien plutôt pour faire apparaître le discours patronal comme celui de tous les sujets. C’est donc le ‘« On’ » unanimiste, celui de la collectivité qui domine. Ainsi, dans les phrases suivantes livrées à titre d’exemple :

‘« Donc, quand un média fait de l’information et que les patrons veulent absolument maintenir ces créneaux d’information, même les augmenter, on ne peut pas dire qu’ils sont dans une logique de profit’ » ; ‘« On pourrait dire la même chose à certains égards des médecins. Ce n’est pas un métier comme un autre’ » ; ‘« La déontologie, c’est une affaire personnelle : on l’a ou on ne l’a pas’ »(AESPA) On = l’opinion publique critique ; On unanimiste

‘« Il y a quand même au sein de la profession, une interrogation permanente sur le rôle du journaliste (…) quel que soit le rôle qu’on lui assigne, il y a une interrogation par rapport à l’évolution de la société sur ce que peut être la fonction du journaliste’ » ‘« le problème est évidemment que l’on ne voit la presse qu’à travers les scandales qui la touchent’  » ; ‘« C’est une conviction affichée, c’est une adhésion à un corpus de règles que l’on se définit en commun’  » ; ‘« Nous ne sommes pas dans une presse attentatoire aux libertés d’autrui. On n’est pas dans un système excessif du pouvoir d’informer. On n’est pas dans un système dont on puisse dire qu’il modifie les équilibres en utilisant des arguments fallacieux’ » ; ‘« Est-ce que l’on peut envisager une démarche déontologique qui ne ferait pas de l’activité de journaliste la réunion d’un certain nombre de composantes ? » ’(FNPF) On = l’opinion publique critique ; On unanimiste.

‘« Mais on a déjà vu des textes anciens exhumés en justice de temps en temps. Pourquoi pas demain ?’ » ; ‘« Les moments de dérive ne sont pas les moments les plus propices, d’abord parce que, à chaud, on fait rien de bon à mon avis’ » ; ‘« Je ne sais pas si c’est unique au monde, c’est ce que l’on appelle une législation exorbitante du droit commun’ » (FFAP).

‘« On peut prendre quelque chose dans la mesure où l’on y a participé, on s’est réuni, on y a réfléchi ensemble. Dans la PQR, les chartes qui ont de la valeur sont celles qui ont été construites entre les éditeurs et les journalistes’ » ; ‘« On est un pays démocratique où les lois sur la presse sont les plus développées, les plus répressives’ » (SPQR).

Ces généralités permettent à nos interlocuteurs de neutraliser leur implication dans un débat toujours très polémique et de faire apparaître leur discours respectif comme celui de l’opinion publique critique, celui de la collectivité dans lequel chacun se retrouve. Ces généralités qui confinent parfois au bon sens rendent aussi possible la dilution des responsabilités, souvent mises en cause en matière d’éthique professionnelle car enfin l’emploi du ‘« on’ » permet, nous l’avons constaté, de multiples ajustements qui sèment le doute quant à l’identification du référent. Il s’exerce, à travers cet emploi du ‘« On’ », un double processus de ‘« connaissance / reconnaissance’ » qui permet aux discours patronaux de jouer sur deux tableaux. D’une part, par la mise en adéquation de leur affirmation avec l’opinion générale (effets miroirs) et, d’autre part, sa résultante, l’appropriation du discours de la majorité. C’est donc au cœur de cette stratégie que les discours patronaux puisent leur légitimité et esquivent les questions à forte charge polémique 565 . Dès lors, le discours patronal, considéré dans ses invariances, apparaît comme le discours de la neutralité, voire de la neutralisation, et ce en dépit des pressions auxquelles il est soumis.

Il est intéressant de confronter les résultats de cette analyse avec celle qui nous a conduit à remettre en cause l’implication réelle de nos interlocuteurs en tant que représentants de l’organisation patronale. Pour ce faire, nous avons observé le contexte qui activait systématiquement la fonction expressive et celle qui opère aussi une mise à distance, la fonction métalinguistique. Notre objectif est double. Il s’agit d’une part de situer ce qui fait l’objet d’un consensus au sein des instances patronales ou à l’inverse ce qui prête au désaccord et, d’autre part, de dégager les thématiques qui opèrent une dispersion. Nous pensons en effet que c’est au cœur de cette rhétorique de la dispersion que s’amorce le point d’achoppement de toutes négociations en matière de représentation normative de la profession. Cette attitude expliquerait la difficulté à cerner une logique d’action patronale en matière d’éthique professionnelle mais aussi celle qu’ont manifestement rencontrée nos interlocuteurs à endosser le rôle de ‘« porte-parole’ » sur un tel sujet. Qu’en est-il ? Le cas est particulièrement édifiant pour la FNPF.

Notes
564.

Gardin B., op. cit., p 36.

565.

Voir les réponses aux questions n°26 (FNPF) et n°8 (AESPA) en annexe.