Bernard Gourinchas, à l’instar de Bruno Hocquart de Turtot, a occupé le poste de directeur des ressources humaines à France 3. Son point de vue n’est pas celui du président des Associations des employeurs du service public de l’audiovisuel (AESPA) mais plutôt celui d’un tiers qui observe, avec l’acuité d’un philosophe, les acteurs du système médiatique. Alors qu’aucune consigne ne lui a été transmise lors de l’entretien, notre interlocuteur nous prévient d’emblée ‘« Moi, je vous parlerai bien entendu en faisant l’effort de généraliser ’» et de préciser ‘« mais l’essentiel de ce que je vous dirai, c’est à partir de mon expérience France3 »’ 575 . Or en la matière, Bernard Gourinchas est en effet très loquace et endosse volontiers l’ancien habit de directeur des ressources humaines dans lequel il paraît plus à l’aise. Fort de cette expérience, qu’il nous fait partager à plusieurs reprises, notre interlocuteur va s’appliquer à séparer le bon grain de l’ivraie en matière de négociation sur les questions d’éthique professionnelle. Il en résulte une posture très objectivée, quasi naturelle chez notre interlocuteur, et la configuration d’un discours de médiateur, mêlant description et prescriptions, regard distancié et impliqué à la fois, mais rarement voire jamais en qualité de président de l’AESPA. Cette dernière fait d’ailleurs souvent l’objet d’une mise à distance par rapport à notre interlocuteur qui paraît s’en exclure : ‘« cette Association’ » ; ‘« la compétence de l’Association »’ ; ‘« l’Association’ ». S’il rappelle volontiers que ‘« bien entendu la déontologie est tout à fait dans la compétence de l’Association ’» il confie qu’il n’a pas souvenir ‘« qu’il y ait eu, explicitement en tout cas, l’évocation de ces problèmes là ’». Or à l’évidence, les questions d’éthique professionnelle et de déontologie au sein de l’AESPA, apparaissent de manière sinon anecdotique du moins implicite. En effet, Bernard Gourinchas peine manifestement à rattacher ses propos à l’orientation ou à l’action de l’Association qu’il préside. D’où notre impression, à la lecture de cette interview, d’une mise à distance de l’AESPA et d’un surinvestissement de notre interlocuteur tentant de pallier ce problème de représentation. Cette impression devient une certitude lorsque l’on observe la part respective de l’emploi des pronoms personnels ‘« Je’ » et ‘« Nous’ » dans l’interview. L’emploi du ‘« Je’ » est massif puisque l’on relève près de 63 occurrences contre 24 pour le pronom personnel ‘« Nous’ ». A l’instar du discours du directeur de la FNPF, celui de Bernard Gourinchas est dominé par l’usage du ‘« Je’ », renforcée par un système de valeurs axiologiquement déterminé.
Notre interlocuteur admet ‘« parler d’un point de vue particulier qui est celui des sociétés publiques de l’audiovisuel »’ mais pas en leur nom. Il nous le dit, mais là aussi implicitement, ‘« Moi, je ne me sens pas le droit de porter un jugement sur la responsabilité de la profession, côté employeurs, dans le retard pris sur tous ces sujets’ ». Le ‘« Je’ » se désolidarise et ne remplit pas son rôle de représentant de l’AESPA : ‘« Mais si je parle uniquement de mon point de vue d’audiovisuel public, je pense qu’il est de l’intérêt des sociétés de l’audiovisuel public d’être claires sur ce sujet »’. Ce premier constat nous invite à la prudence. Il nous paraît en effet difficile de rapporter les propos de Bernard Gourinchas comme étant représentatif de l’Association des employeurs du service public de l’audiovisuel. Cela dit, quelques éléments de réponse, à lire dans ‘« l’implicite’ », peuvent éclairer la position des employeurs sur les questions d’éthique professionnelle. Selon Bernard Gourinchas, ces questions sont sous-jacentes à un certain nombre de débats qui portent notamment sur la modification de la convention collective, le renouvellement de l’agrément aux écoles de journalisme ou encore la définition de ce qu’est un journaliste. Si, sur ces points précis, la réflexion est menée de concert entre les différents employeurs et ‘« pourrait’ » aboutir à un débat sur l’éthique professionnelle, cette démarche, avant même de prendre forme, semble déjà compromise.
D’une part, parce que les employeurs, contrairement à ce que nous laisse entendre notre interlocuteur, ne semblent manifester aucune volonté dans ce sens. Ces thèmes, selon Bernard Gourinchas, pourraient être l’occasion pour les employeurs de parler d’éthique mais notre interlocuteur, sans donner d’exemple qui préciserait sa pensée, reste au stade des supputations. Il en est conscient et tente de nous convaincre via une avalanche de questions qu’il attribue à l’Association : ‘«Donc, on se dit, mais qu’est-ce qu’il serait souhaitable de faire évoluer dans cette convention ? Pourquoi ne lui (le CNPEJ) demanderait-on pas (…) de dire ce qui, à son point de vue, gagnerait dans la convention à être reprécisé ? Qu’est-ce que tout cela présuppose, dans la conception du métier de journaliste, la fonction d’information dans la société ? Faut-il faire évoluer cette définition »’ et enfin d’ajouter ‘« il serait difficile, à cette occasion là de ne pas évoquer les problèmes de déontologie ? ».’ La question de l’éthique professionnelle est présentée comme ‘« fondamentale pour les journalistes’ » mais semble déjà l’être moins pour les employeurs de l’audiovisuel public.
D’autre part, en observateur patenté des relations entre employeurs et employés, Bernard Gourinchas amenuise la responsabilité des employeurs en pointant celle des journalistes. En effet, la raison pour laquelle les employeurs éprouvent une certaine réticence à évoquer la question tient à la réaction supposée des journalistes. Notre interlocuteur est clair ‘: « la réaction des organisations des employeurs a été de se dire « qu’est-ce qu’ils vont nous demander ? Est-ce que l’on ne va pas ouvrir la boîte de Pandore ? »’ et de conclure ‘« ça a finalement mis en évidence quelque chose : Comme tous les textes qui sont un peu considérés comme sacrés , moins on y touche mieux on se porte, les journalistes c’est un peu ça »’.
Voir la restranscription intégrale de l’interview de Bernard Gourinchas (AESPA), datée du 18 juillet 2001, en annexe.