2) Culture de l’entreprise vs culture journalistique

Bernard Gourinchas résume même la situation en parlant de ‘« culture journalistique’ » à laquelle se heurtent les projets patronaux. Ce n’est pas ici sans rappeler les propos de Bruno Hocquart de Turtot qui précisait que ‘« les références des journalistes ne sont pas, du tout, celles des éditeurs’ » mais aussi ceux de François Devevey qui parlait, quant à lui, ‘« d’environnements parallèles’ ». Pour réduire la frontière entre les deux protagonistes, Bernard Gourinchas va, d’une part, se positionner comme médiateur et neutraliser au maximum la polémique et, de l’autre, dresser la voie du consensus. Employeurs comme employés vont être enjoints à prendre leur part respective de responsabilité : ‘« Si maintenant, on est conscient, de part et d’autre, de ce qu’est le métier d’informer, de sa difficulté, et ça vaut pour le patron aussi bien que pour le journaliste, on a intérêt à mon avis à travailler le sujet ensemble et à ne pas se lancer d’invectives’  ». L’ancien directeur des ressources humaines poursuit dans la même veine : ‘« Si les syndicats disent « la déontologie, c’est pour le patron » et si de son côté le patron dit « les journalistes feraient bien quand même de regarder dans leur basse-cour et de nettoyer leur paillasson avant de déposer leurs ordures chez nous », si on part sur ces bases « tous pourris d’un côté et tous vendus de l’autre », on ne s’en sortira pas ’». Notre interlocuteur appelle de ses vœux ‘« une espèce de vigilance permanente’  » de part et d’autre et met en garde les deux camps contre ‘« un esprit politique’ » qui pourrait animer leur volonté respective de ‘« s’attaquer au toilettage des textes’ ».

Le système axiologique mis en œuvre dans son discours va nous permettre de circonscrire les priorités de notre interlocuteur. Selon lui, il y a ce qui est ‘« nécessaire’ » ; ‘« indispensable’ » ; ‘« important’ » et ‘«essentiel’ » à réaliser en matière de déontologie et d’éthique professionnelle, ce qui est bon et ce qui l’est moins. Un certain nombre de démarches lui paraissent essentielles à mener. Certaines incomberont aux journalistes, d’autres aux employeurs. Cela dit, globalement l’essentiel ‘« ce n’est pas qu’il y ait une charte à brandir, c’est qu’il y ait une charte d’antenne qui fasse l’objet d’un accord large, paritaire évidemment, et d’une volonté d’application’ ». Trouver un consensus est donc une condition sine qua non qui relèverait même de la ‘« sagesse’ ». Mais cette condition est subordonnée à un impératif : ‘«Que la profession, dans ses instances syndicales et patronales, s’efforce d’objectiver certaines choses, de codifier d’autres, d’accord. Mais elle ne pourra se substituer au terrain où le journaliste se pratique, c’est-à-dire l’entreprise de presse, elle-même’ ». Notre interlocuteur n’en démord pas et insiste sur l’importance de l’entreprise de presse comme cadre de références en dehors duquel il est impossible d’envisager le consensus. Il s’en explique à diverses occasions notamment celle que lui offre la question sur la tendance actuelle des employeurs de l’audiovisuel public à l’égard des questions de déontologie. Le constat que ‘« le type de problème d’ordre déontologique qu’elle - l’entreprise de presse - va rencontrer ne sera pas forcément le même dans toutes les sociétés ’» suffit, selon Bernard Gourinchas, à justifier la spécificité des approches. L’effort est même qualifié ‘« d’indispensable’  ». Conscient que ‘« la déontologie peut-être utilisée dans un certain affrontement social’  », il semble que l’ancien directeur des ressources humaines voit à travers les chartes un outil de régulation de la profession qui serait propre à chaque entreprise. Il le dit d’ailleurs ‘« c’est important d’avoir en plus une référence interne qui nous permette de dire « vous deviez respecter telle procédure, vous ne l’avez pas fait. Pourquoi ? »’ et d’expliquer plus prosaïquement ‘« ça fait partie de la culture d’une rédaction de société d’avoir sa formulation propre, pas forcément différente, ou son accentuation propre des incontournables déontologiques ».’ Or c’est à cette ‘« culture d’une rédaction de société’ » que se heurte ‘« la culture journalistique’ ».