V) FFAP : «Personne ne va vous le dire, moi je vais vous le dire »

1) La charte de la FFAP : « un instrument pour ou contre les administrations » 

Jacques Morandat arbore la sérénité de celui qui sait, en matière de pratiques journalistiques, le poids des convictions. Journaliste, directeur de la FFAP depuis plusieurs années, notre interlocuteur paraît rompu à l’exercice des questions / réponses. Il jongle avec les identités, assume et revendique son appartenance à la communauté journalistique sans mésestimer, jamais, sa qualité de directeur de la FFAP. Les occurrences des pronoms ‘« Je’ » et ‘« Nous’ » sont là pour le confirmer puisqu’elles sont présentes dans des proportions sensiblement égales 577 .

Si, comme il le dit, ‘« personne n’ose le dire mais tout le monde le sait’ » 578 , Jacques Morandat au contraire affiche clairement ce qu’il pense et ce qu’il en est. Insatiable sur le sujet, il ne badine pas avec les chartes au premier rang desquelles celle de la FFAP qu’il qualifie ‘« historiquement de première en France concernant une corporation professionnelle en dehors des chartes de journalistes’ ». Qu’on ne s’y trompe pas ‘« ce n’était pas un texte circonstanciel, c’était un texte pour l’avenir, pour semer ’». Déjà relégué au passé dans les propos de l’un de ses initiateurs, la charte de la FFAP possède une particularité. Elle n’est pas là pour régir des pratiques professionnelles mais, semble-t-il, pour revendiquer un manque et pallier le problème d’absence de législation notamment en matière de droit de l’image. Elle vise, par ailleurs, à donner un label à l’ensemble des agences de presse qui pourraient s’en prévaloir devant la justice. Cette particularité confère à la Charte de la FFAP une dimension consensuelle qui dépasse le seul cadre des agences de presse. En effet, la réalisation de cette charte a fait l’objet d’une consultation, a posteriori, des syndicats de journalistes ‘« qui n’ont pas hurlé parce qu’il n’y pas grand chose qui puisse les faire hurler là-dedans ’» dixit Jacques Morandat. Notre interlocuteur est catégorique ‘« ce n’est pas un instrument pour ou contre les journalistes, c’est un instrument pour ou contre l’Administration, les administrations ’» et de concéder plus loin ‘« c’est une explication de métier et puis y’a une petite part sur les droits et les devoirs »’. Nous sommes typiquement dans le cadre d’une instrumentalisation de l’éthique professionnelle, de la forme la plus probante d’utilitarisme qu’évoquait Bentham ou, pour reprendre la terminologie de Daniel Cornu, d’une éthique stratégique. Cela dit, à la différence de nos autres interlocuteurs, Jacques Morandat revendique cet utilitarisme face au vide juridique. Pis encore, il concède volontiers que le document aurait pu s’appeler un cahier des charges parce que ‘« ça y ressemble furieusement’ » mais d’avouer ‘« Charte de déontologie, ça sonne mieux »’. Ce franc-parler, parfois déroutant, campe le contexte de l’entretien : notre interlocuteur apparaît comme une personne qui n’a rien à cacher et qui lève le voile sur les coulisses de la profession comme on lève un scoop : ‘« Je vais vous dire l’écueil entre employeurs et salariés (…) Personne ne va vous le dire, moi je vais vous le dire (…) On discute de ça dans les salons (…) Personne n’ose le dire mais tout le monde le sait (…) L’unité de la profession, c’est bidon, ça amuse tout le monde, mais ce n’est pas vrai (…) Chaque fois que quelqu’un, en dehors de moi et de mon franc parler, tout le monde le sait (…) c’est comme ça que ça se passe ».’ Sont-ce là des propos qui visent seulement à nous mettre dans la confidence ou bien une réelle volonté d’en finir avec les discours policés sur le sujet qui relèvent plus de l’hypocrisie que d’une réalité partagée ? Dubitatifs, nous avons pris l’initiative de reprendre une partie de son argumentation pour la soumettre à deux de ses confrères patronaux. François Devevey est tout acquis à la cause et pense que ‘« Jacques a raison’  ». Bruno Hocquart de Turtot persiste, lui, à ne voir aucun lien entre la convention collective et la charte des journalistes, fut-elle rédigée avec la direction. Quant aux syndicats de journalistes, seul François Boissarie 579 a été confronté à l’argumentation de Jacques Morandat. Celle-ci consiste à admettre, pour les employeurs, la possibilité d’inclure dans la convention collective la charte des journalistes à la condition expresse que ‘« le non-respect de la charte soit assimilable à une faute grave pour le journaliste’ ». Directement visé, puisqu’il s’agit là d’une requête de longue date du SNJ, François Boissarie n’a pas su nous répondre. Manifestement embarrassé, notre interlocuteur syndical a exhalé un soupir d’agacement.

Notes
577.

36 occurrences du « Je » contre 26 pour le « Nous ».

578.

Voir la restranscription intégrale de l’interview de Jacques Morandat (FFAP), datée du 19 juillet 2001, en annexe.

579.

A l’occasion d’une discussion informelle avec François Boissarie, secrétaire général du SNJ, le 20 juillet 2001.