L’articulation argumentative de Jacques Morandat présente un intérêt particulier en ce sens qu’elle se démarque, d’abord formellement puis du point de vue du contenu, des autres interventions. S’agissant des questions d’éthique et de représentation normative de la profession via la rédaction d’une charte, Jacques Morandat affiche ses convictions. Il laisse entendre que ce ne sont pas seulement les siennes, mais que ‘« personne n’ose le dire’ ». Notre interlocuteur le dit donc sans détour : ‘« A mon avis, formaliser le texte ensemble, ce n’est pas un problème. Avoir un consensus ensemble sur un texte déontologique, ça n’est pas un problème’ ». La difficulté, selon Jacques Morandat, ne se situe pas au niveau du contenu d’une charte des journalistes susceptible d’être visée par l’ensemble de la profession, mais tient à son champ d’application. Son constat est le suivant : ‘« Les entreprises de presse, dans leur immense majorité, les syndicats de journalistes sont absolument sur la même longueur d’ondes’ » et mieux encore ‘« on dit la même chose au même moment (…) On fait des communiqués, on pourrait se les échanger’ ». Sur le contenu même des chartes, Jacques Morandat affirme que ‘« l’on trouve exactement la même chose à quelques détails près »’ et d’ajouter sa touche personnelle : ‘« Y’a pas d’oppositions sensationnelles à ma connaissance »’. Le problème réside donc en aval, notamment sur les implications de l’usage d’une charte. Notre interlocuteur postule d’une part qu’il faut dépoussiérer les textes existants et d’autre part qu’il faut une confrontation et d’expliquer à nouveau ‘« ça sera annexé à la convention des journalistes le jour où les syndicats de journalistes accepteront de dire, ce qui est une demande absolument légitime des employeurs, même sur le plan de la déontologie, que le non-respect est une faute ’». Or à cet égard Jacques Morandat n’entretient pas longtemps l’illusion : ‘« Un syndicaliste ne peut pas fabriquer de futur croche-pied à ses adhérents, donc il n’y aura jamais de signatures communes’ »… ‘» personne n’ose le dire, mais tout le monde le sait’ ». Loin de nous satisfaire de la logique implacable de notre interlocuteur pour lequel la situation se résume à la loi du ‘« donnant donnant’ », nous avons dès lors confronté sa propre argumentation à l’expérience de la réalisation d’une charte au sein de la FFAP. Si en effet rien ne les distingue, si ‘« l’on trouve la même chose à quelques détails près »’, qu’est-ce qui justifie alors la prolifération des chartes d’entreprise mais aussi la réalisation de la charte de la FFAP ? Sur ce dernier point notons que Jacques Morandat a été explicite : la charte de la FFAP ‘« est une arme éventuelle pour discuter avec les magistrats’ ». Nous nous serions volontiers contenter de cette explication si le directeur de la FFAP n’avait pas, plus loin, argué de nouvelles motivations. L’objet du débat porte sur l’absence de différences notoires entre les chartes d’entreprise. A ce sujet, et pour une fois, Jacques Morandat prend la précaution de nous signaler que ce point de vue n’est valable que dans la limite de ses connaissances des différentes chartes et d’expliquer ‘« Je connais quoi, la mienne, celles, au pluriel, des journalistes. Y’a par-ci, par-là, des trucs qui ne vont pas, plus parce que ce sont des textes anciens qui n’ont pas été revues ou réactualisés ».’ Dont acte. Nous lui soumettons dans la foulée l’exemple de La Charte du SNJ et Jacques Morandat de répondre d’emblée ‘« Nous, elle ne nous suffisait pas. Une entreprise de presse ne peut pas prendre la charte de déontologie de ses salariés. C’est l’engagement de l’entreprise. Ce n’est pas l’engagement des salariés »’. Si tout le monde le pense, tous nos interlocuteurs le disent aussi. C’est ici, indéniablement, que le bât blesse. Le directeur de la FFAP s’approprie la charte de la FFAP, c’est la sienne dit-il, et marque dès lors très distinctement une différence entre une charte des salariés et celle des employeurs qui relèveraient de leurs engagements respectifs. Le problème ne tient donc pas seulement, comme le laisse entendre notre interlocuteur, à l’usage qui pourrait en être fait – non-respect de la charte = faute grave – mais aussi à des engagements et des intérêts supposés, d’emblée, divergents. Comme le rappelle J.D Reynaud : ‘« il est de mauvaise méthode de vouloir analyser les ressorts d’un groupe social ou l’orientation de ses actions en prétendant les déduire de l’analyse a priori de ses intérêts collectifs »’ 580 .
Reynaud J.D., op. cit., p 70.